Petite liste des principaux articles parus ces derniers temps dans le Messager de Bargfeld (Bargfelder Bote = BB)
Bargfelder Bote. Materialien zum Werk Arno Schmidts. Lfg.255-256.
Avec l'humour qu'on lui connaît, Jörg Drews nous offre dans les brèves de ce numéro de septembre du Messager de Bargfeld un extrait du texte d'Eugen Helmlé intitulé Dans le train de nuit pour Lyon (Im Nachtzug nach Lyon, écrit à la mémoire de Georges Perec et publié en 1993 chez edition plasma, Berlin). Le célèbre traducteur de Raymond Queneau, de Georges Perec, de Pierre-Albert Birot et de bien d'autres s'est livré dans ce récit à un lipogramme <en e>, au cours duquel un des personnages "récite" le début de Kaff, itou Mare Crisium tout en le présentant comme un extrait de Pocahontas. La citation est bien sûr livrée sans <e>...
Il est aussi question de Kaff dans l'article de Rudi Schweikert joliment intitulé <<Kaff>>, gifle, cirque, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension de ce titre à bien des égards énigmatique. Sa recherche se tourne vers les Mille et une nuits, le récit du Comte de Caylus pour le Cabinet des Fées, Histoire du griffon, et son adaptation par Wieland. On y apprend entre autres que <Kaf> signifie aussi <gifle> en arabe – ce qui n'étonne guère quand on connaît l'impétuosité de la prose schmidtienne ("caisses furibardes"!) et dépasse peut-être la portée que lui attribue Schweikert qui y voit une allusion aux démêlés de Schmidt avec les éditeurs officiels de Karl May. Le <cirque> du titre de l'article serait une autre acceptation du terme en arabe et désignerait dans une cosmographie mythologique un immense mur de parois rocheuses entourant le monde et habité par les djinns. Cette idée d'<encerclement> se retrouve bel et bien dans nombre de récits d'Arno Schmidt et hante son univers sous la forme de cratères (Kaff), cirques (Enthymésis, mais l'Île Felsenburg en est un aussi), mondes creux, camps de prisonniers et on pourrait même affirmer que sa théorie des <panoramas> formulée dans Zettel's Traum relève de cette même obsession.
Avec sa Balade dans la bibliothèque de Schmidt, Friedhelm Rathjen publie les premiers résultats de son exploration des livres rangés sur les étagères de Bargfeld. L'article nous donne pour ainsi dire les scories de son travail en cours sur les lectures <anglaises> de Schmidt entre 1920 et 1950. Rathjen nous présente donc ici quelques livres en allemand cette fois-ci, dont on sait qu'ils ont été acquis avant 1950 et essaie de retrouver des traces de ces lectures dans l'œuvre. Il ne s'agit pas là des fameux <livres-fétiches> qui apparaissent régulièrement dans les récits mais bien souvent de lectures de hasard dues au fait que Schmidt a reçu comme <jeune auteur> de chez Rowohlt les nouveautés de cet éditeur. Sachant que l'auteur ne s'est pas privé de distribuer (ou de vendre ? F.R. parle de "livres jetés", difficile à croire dans le cas d'un bibliomane notoire !) les nombreuses publications qu'il recevait, Friedhelm Rathjen parie sur le fait que les livres conservés dans sa bibliothèque pourrait recéler <anguille sous roche>. Lecteur héroïque s'il en est, Rathjen se lance dans l'analyse d'ouvrages d'auteurs aussi divers que Richard Katz, Richard A. Bermann, Laurence Housman (Victoria Regina dont on se souvient que le narrateur de Miroirs noirs l'avait offert à Lisa), Baltasar Gracian, James Thurber (cité dans Calculs II), Bernard Kellermann (un auteur qui reste à découvrir en France...avis aux traducteurs !) ainsi qu'une étrange Betty Mac Donald, dont l'ouvrage The Egg and I (!!!) bénéficie de l'attention soutenue de notre chercheur. On ne peut pas dire que Schmidt ait fait flèche de tout bois, comme on aurait pu s'y attendre. Rathjen décèle çà & là quelques <expropriations> dont Schmidt avait le secret, il identifie des passages repiqués tels quels ou transformés et nous voilà tout d'un coup à nouveau plus savants et encore un peu plus ébahis par ce lecteur polymorphe qui s'était donné pour règle de "lire systématiquement le crayon à la main".
Mais, comparé à la cerise sur le gâteau que nous offre – à nous autres, lecteurs français – Rathjen, ce n'est encore rien. En effet, un des chapitres de son article est consacré au Passe-Muraille de Marcel Aymé ou plus précisément à sa traduction allemande parue chez Rowohlt en 1948 sous le titre Der Mann, der durch die Wand gehen konnte und andere pariserische Scheherazaden. À partir d'une information de Josef Huerkamp (A.S. mit seinem Capriccio <Tina oder über die Unsterblichkeit>) signalant une note dans le Journal d'Alice Schmidt indiquant qu'Arno avait lu pour sa femme à voix haute ce recueil de nouvelles en novembre 1954, F. Rathjen tente de retrouver des traces de cette lecture – et plus spécialement de la nouvelle qui donne son titre au recueil – dans le roman que Schmidt était alors en train d'écrire, à savoir Das steinerne Herz (Cœur de pierre). Il entreprend un parallèle prudent entre ces deux textes et y découvre à bon droit un certain nombre de motifs communs ou similaires. Cela est d'autant plus convaincant que Schmidt ne se prive pas d'un clin d'œil dans Cœur de pierre où le titre français du récit apparaît en toutes lettres à propos d'une jambe féminine sortant de l'arrière-fond de la vitrine d'un marchand de lingerie. Mais la découverte décisive selon Rathjen – et on verra qu'on ne pouvait la faire qu'à partir de la traduction allemande – concerne les dernières lignes du récit. Voici d'abord la traduction allemande : "In gewissen Winternächen geschieht es, dass der Maler Gen Paul sich mit der Gitarre in die hallende Einsamkeit der Rue Norvins hinauswagt, um den armen Gefangenen mit einem Lied zu trösten, und die Klänge, die unter seinen erstarrenden Händen dahinschwinden, dringen wie Silbertropfen des Mondes in das steinerne Herz." On voit que "das steinerne herz" termine dans sa traduction le récit de Marcel Aymé; Rathjen signale encore que le mystérieux "In unserem Wassertropfen" ("Dans notre goutte d'eau") qui inaugure le début dragonesque de Cœur de pierre serait susceptible de trouver ici une explication. Tout cela est fort possible, car Schmidt a toujours éprouvé un plaisir fou à jouer avec ses lecteurs. Le fait que le texte original en français diffère sensiblement de sa traduction allemande n'enlève rien à cette découverte et il se peut que le lecteur français soit du reste plus intéressé par un autre élément qui a échappé à Friedhelm Rathjen. Mais rappelons à présent les dernières lignes de l'original du Passe-Muraille : "Certaines nuits d'hiver, il arrive que le peintre Gen Paul, décrochant sa guitare, s'aventure dans la solitude sonore de la rue Norvins pour consoler d'une chanson le pauvre prisonnier, et les notes, envolées de ses doigts engourdis, pénètrent au cœur de la pierre comme des gouttes de clair de lune." On remarque qu'il ne s'agit pas de "gouttes d'eau" ou de "gouttes d'argent" ("Silbertropfen") et surtout que le pauvre Garou-Garou Dutilleul, loin d'avoir un "cœur de pierre", (puisqu'il "lamente la fin de sa glorieuse carrière et le regret de ses amours trop brèves") est "incorporé" bien vivant "au cœur de la pierre" (im Herz des Steines). Signalons encore une curiosité dans l'onomastique, matière importante, comme on le sait, pour la critique schmidtienne. On l'a vu, le héros du Passe-Muraille s'appelle Dutilleul et s'est donné un surnom à la Fantomas pour signer ses enthousiasmants cambriolages : Garou-Garou. Le nom du bon petit fonctionnaire, collectionneur de timbres et à cheval sur les principes de l'administration, pourrait se traduire en allemand par Lindemann (voir le récit Queues in Vaches en demi-deuil); celui du Passe-Muraille en rupture de ban vient du mot composé <loup-garou> (Werwolf) qui est en fait un pléonasme, les deux termes signifiant à l'origine la même chose : le loup, der Wolf (le Faune vous salue bien...).
Il se peut cependant que pour certains lecteurs français, dont nous voyons pointer d'ici les oreilles de faune, l'intérêt de la découverte de Rathjen réside avant tout dans la figure très réelle du Pierrot lunaire qui vient consoler Garou-Garou : Gen Paul, peintre montmartrois fêtard estropié, buveur invétéré chez lequel se réunissaient Marcel Aymé et tout ce qui comptait sur la Butte à commencer par un certain Louis-Ferdinand Céline qui fit de lui le mauvais génie de Normance, la deuxième partie de Féerie pour une autre fois. Le nain malfaisant juché sur le sommet du Moulin de la Galette qui appelle et guide l'aviation anglaise pour qu'elle déverse ses bombes sur ses anciens amis, c'est lui, Gen Paul. Nous le retrouvons encore dans une autre nouvelle du même recueil de Marcel Aymé, La carte, laquelle, comme le signale Josef Huerkamp, pourrait avoir été une source d'inspiration pour le Tina d'Arno Schmidt. On ne peut que conseiller la relecture de ce texte, non seulement pour y relever les parallèles frappants avec le récit de Tina (bien plus évidents que dans le cas du Passe-Muraille) mais aussi pour y découvrir aux côtés du même Gen Paul, la figure de Céline en personne. Le furibard écrivain français n'y est pas vraiment présenté à son avantage, mais ce fut peut-être ici pour la première fois qu'Arno Schmidt découvrit son nom. Le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit avaient déjà été traduits en allemand avant-guerre et ces textes ont été repris dans les années cinquante. La question qu'on se pose est bien sûr la suivante : après cette mention furtive, Schmidt a-t-il été voir les livres de ce paria d'un peu plus près (somme toute il aurait déjà pu entendre son nom cité avant-guerre) et puis a-t-il lu d'autres livres de Marcel Aymé, comme par exemple le très subtil pamphlet intitulé Le confort intellectuel paru en 1949 ? On peut légitimement se demander à quoi s'amusent dans nos universités les instituts d'allemand, la recherche germanistique française, sans oublier cette magnifique discipline dans laquelle avait brillé en son temps Robert Minder et qui s'appelle la littérature comparée...
BB n° 257-259 / novembre 2001 :
Guido Erol Öztanil : Arno Schmidt und Heinrich Albert Oppermann. Rekonstruktion einer Spurensuche. Un essai très dense sur l'exhumation de l'auteur " du roman politique du XIXème siècle " par Arno Schmidt et une reconstruction des promenades labyrinthiques de l'auteur de Le Cœur de pierre dans les archives du Royaume de Hanovre.Ernst Krawehl : Ein Brief an Marco Brännström. Une lettre inédite (septembre 1990) de l'éditeur de Schmidt au petit-neveu d'Alice Schmidt, qui organisa encore avant la chute du Mur la première et dernière exposition clandestine en RDA sur l'œuvre " formaliste et décadente " de son parent.
BB n° 260 / janvier 2002 :
Hans-Karl Abenhausen : Sein Hand=WerkZeug. Begegnung mit Arno Schmidt. Le témoignage très précis du marchand et réparateur attitré de machines à écrire de notre écrivain. Où l'on apprend entre autres que l'ermite suspendait systématiquement sur le fil d'étendage sans les lire les lettres que ses admirateurs avaient lancées par dessus le grillage. (Interrogé sur le sujet, Bernd Rauschenbach dément formellement !). Très intéressant tout de même (dans tous ses détails techniques), vu que Schmidt fut à partir de Zettel's Traum son propre " typographe ".Rudi Schweikert : In der Anatomie bei Dr. Tulp. Schweikert poursuit ici ses recherches sur " la galerie d'images " ou le " fichier visuel " mis en œuvre dans les livres d'Arno Schmidt. Ici il s'agit de " La leçon d'anatomie du Dr. Nicolaes Tulp " par Rembrandt et de ses rapports avec la nouvelle Caliban sur Setebos (in Vaches en demi-deuil).
BB n° 261-262 / mai 2002 :
Friedhelm Rathjen : Die drei Buchruinen. Zur relevanz von Grillparzer, Stettinius, Thorne Smith für <Brand's Haide> und <Schwarze Spiegel>. L'auteur part de cette citation de Brand's Haide (p. 29) : " Trois livres en ruine, que je sortis de mon manteau Stettinius, Lend-lease; Smith : Topper et le pauvre ménestrier (celui-ci traînait dans une tente à Luthe, du soleil matinal à l'entour, j'étais coincé dans mon uniforme-fourreau et beuglais des yeux : empoché que je l'ai. Et le referais sans hésiter ; là on mesure le savoir-faire de Grillparzer, démoniaque ! […] ". On peut à présent constater dans l'édition récente de l'inédit Brüssel combien Schmidt a souffert du manque de livres dans le camp de prisonniers anglais. Ces quelques livres " piqués " furent en quelque sorte une planche de salut intellectuelle pour ce prodigieux dévoreur de littérature. Rathjen les a dénichés et lus pour nous. Il nous montre comment ils se sont plus ou moins inscrits dans l'œuvre des années cinquante. Pour Thorne Smith, il en montre l'influence jusque dans Julia. Il nous donne également à voir les couvertures de ces ouvrages. Un travail exemplaire.Hartwig Surbier : Voß, Benn & Schmidt. Eine Lesefrucht aus dem Voß-Jahr. À propos d'un " mot rare " que Gottfried Benn aurait repris à la traduction de Voß des Métamorphoses d'Ovide. Tout cela pour conclure avec cette citation féroce extraite de Caliban sur Setebos : " Je n'appartiens plus à ces intellectuels à la BENN qui de 2 rimes choisissent systématiquement la plus rare : non non, du vent ! ". Les philologues aussi ont le droit de se divertir…(Schmidt ne les appelait-il pas les " philoulogues " ?).
BB 263-264 / juillet 2002
Ludwig Harig : Unter dem papierenen Mond. Die Entdeckung der Kunst des Schreibens von Arno Schmidt.
Pour ses 75 ans, l'écrivain Ludwig Harig offre aux lecteurs du Messager de Bargfeld un texte magnifique qui mériterait une diffusion beaucoup plus large. Il nous raconte sa découverte de Paysage lacustre avec Pocahontas et de Calculs I dans la revue Texte und Zeichen d'Alfred Andersch en 1955, et comment cette lecture avait déverrouillé la carcan dans lequel lui et son ami Eugen Helmlé (le futur traducteur de Queneau et de Perec) se sentaient enfermés par leurs lectures des doxa hâtives de la psychanalyse. Bref, comment ces deux-là doivent leur bonheur ou malheur d'écrire à un type complètement inconnu à l'époque qui s'appelait Arno Schmidt. Dès après cette révélation, ces deux jeunes gens se procurèrent l'adresse de l'écrivain-choc et se ruèrent vers Kastel sur la Sarre dans l'espoir de rencontrer celui qui les avait délivrés. Malheureusement Schmidt venait de partir en catastrophe pour Darmstadt pour échapper à la justice qui le poursuivait à cause de Pocahontas. Ils devront se contenter des gloses de l'ancien propriétaire du logement. Ce que dit ce dernier est assez sympathique, en tout cas très loin des imprécations qu'on trouve dans le Journal d'Alice Schmidt. C'est précisément la parution du livre qui reproduit les passages du Journal d'Alice ainsi que le fac-similé du manuscrit de Paysage lacustre avec Pocahontas, qui va inciter presque 50 ans plus tard, Ludwig Harig à partir avec sa femme sur les traces d'Arno & Alice en villégiature au Dümmersee en juin 1953 et de la transmutation de ce séjour en l'un des joyaux de la prose de langue allemande du 20ème siècle. Ludwig Harig refait le voyage dans tous ses détails, tout en citant au fur & à mesure les passages les plus justes de cette extraordinaire prose schmidtienne. Un très bel hommage de ce grand écrivain.Hubert Rüter : Ergänzungen zu <Lore, Grete & Schmidt>. Un appendice aux précieuses gloses de Heinrich Schwier pour Brand's Haide.