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Tijl Fiasse�: Via C�line

Schmidt est un auteur qui demande beaucoup � ses lecteurs ; ce n'est qu'un juste retour des choses que de demander des comptes � un auteur qui prend sur votre temps : une attitude saine et normale. Une entente courtoise entre lecteur et auteur r�clame qu'on appr�cie d'autant mieux l'effort fourni & les qualit�s quand on a jug� sur pi�ces et discut� les d�fauts & faiblesses. Les gens qui ne parlent qu'en termes dithyrambiques de leurs auteurs favoris : un manque de respect et une attitude de supporter de football - et cette remarque d�sinvolte n'a rien � voir avec le fait de ne pas avoir l'�loge facile.

A. Vous avez dit 'expressionniste' ?


Essayons d'�tre raisonnable et pragmatique. Pour un lecteur francophone, Arno Schmidt est probablement d'une approche difficile. Pas par la langue ; apr�s tout, il para�t que Thomas Mann �crit aussi en allemand ; �a ne doit pas faire une grande diff�rence. Lire la <Montagne magique>, c'est lire un document sociologique qui nous enseigne la mani�re dont pouvaient penser X ou Y en 19... Et ceci qu'on soit slavisant ou germanisant. Et puis, il faut bien l'avouer, l� o� messieurs Mann (cadet), J�nger et Hesse vous cherchent leurs lecteurs, c'est � savoir parmi les 'teenagers' de tous poils ou sans poils (pas encore), nous nous trouvons dans un marais o� le dialogue philosophique - tombeau du roman allemand - est fort pris�. Les structures formelles assez l�ches sont connues depuis la d�mocratisation du roman au 19e si�cle ; quant au dialogue philosophique, le vieux Dosto�evski faisait cela mieux que personne. J'ai dit : 'pas par la langue' : c'est faux, bien s�r. J'y viendrai. Simplement, le grand roman du 19e si�cle, qui se continue pour certains au si�cle suivant, on a un peu l'impression qu'il est �crit par n'importe qui aujourd'hui, peu importe la langue. Et pour �tre tout � fait franc, je ne verrais pas d'inconv�nient � attribuer <Jean-Christophe> � Thomas Mann et le <Jeu des perles de verre> � un Duhamel qui aurait d�vor� la <V�ga des Stances>, c�l�bre livre hindou... Tout �a pour dire que ce n'est pas pr�cis�ment pour des raisons litt�rairement pertinentes que je soup�onne des lectures fi�vreuses de Hesse en France. J'esp�re un homonyme en Allemagne l�chant, tel un sybarite, la m�me remarque � propos de lectures fi�vreuses et profitables d'Albert Camus.

Transmettre quoi que ce soit n'int�resse pas le moins du monde D'Annunzio ; il veut construire des structures et, pour construire, il pille la totalit� du vocabulaire italien, et il le pille vraiment en mettant � feu et � sang une ville morte, mais l'italien est une langue morte... et il est extraordinaire qu'il soit parfois capable d'�crire des choses d'une intensit� structurale inou�e, qu'il SACHE UTILISER DES MOTS... (C'est un article de Manganelli.)

Ce qui se faisait d'int�ressant linguistiquement en Allemagne dans la prime jeunesse d'Arno Schmidt est aussi peu connu en France que la po�sie qu'on doit pratiquer dans les environs d'Antar�s. Ce qui est curieux, n'est-il pas, dans la mesure o� une autorit� reconnue et ador�e de certains cercles parisiens, Borges, voit dans l'expressionnisme le mouvement litt�raire le plus important du si�cle. Vraiment curieux qu'ils ne se soient pas tous ru�s sur l'expressionnisme... Surtout quand on songe que vraiment seuls les auteurs modernistes ont su se faire ob�ir de leurs lecteurs... L'argument d'autorit�, vous savez... ? Ma�tre Pound (Kong de son pr�nom), qui est grand et sage et vraiment Pound jusqu'au bout des lacets (ceux qui connaissent un peu leur histoire du modernisme anglo-saxon, et je suis s�r qu'ils sont nombreux, savent que ce n'est pas une image gratuite, mais motiv�e, dans la plus triviale et anecdotique tradition moderniste : partout o� l'on rencontre Pound, on parle de chaussures, notamment celles de Joyce. Ergo : jusqu'au bout des lacets. Je devrais peut-�tre saupoudrer les lacets de parmesan de la marque Frazer pour faire s�rieux...), je disais : et sage et kwasi un dieu pourrait-on dire, ce ma�tre Cock Porn (ou Pop Corn : je vois d'ici une arm�e d'herm�neutes d�duire de savantes influences du Pop Art sur le porno chic...), ce ma�tre Pound donc, suffisamment qualifi� maintenant je pr�sume n'est-il pas, oracle des phrases comme : 'Pas Stendhal. Stendhal mauvais. Gnnn. Gnnn. Grr. Non habet infelix Beylis quod mittat amico. Et ceci � cause d'un pullauv�re dans l'vaniti. Pas Stendhal'. Et la foule des nombreux modernistes de crier : 'hourra hourra comment c'est vrai dis qu'il est un esprit sup�rieur celui-l�. Nous avons tous la bonne espoire ab joy d'�tre un jour aussi cultueux que notre gnn gnn grr ma�tre Pound.' L'argument d'autorit� dans toute sa splendeur. Ceci est une petite parenth�se pas tout � fait gratuite : nous y reviendrons, � ce terrorisme culturel schmidtien : quatre individus peut recommandables vont enLACER ce th�me � d'autres dans une agr�able discussion-repose-pied que je vous invite � lire � la fin de ma dissertation scolaire.

Ce qui, de prime abord, g�ne le lecteur francophone dans les textes de la premi�re p�riode de Schmidt (avant les <Vaches>) tient � cette absence de lecture des po�tes expressionnistes. Les �ditions Complexe peuvent bien nous offrir un 'best of', il semble qu'il soit trop tard. Maintenant, quant � savoir si le lecteur allemand n'a pas �t� choqu� de retrouver en prose des images qui avaient leur place originelle ailleurs, c'est une autre question dont je ne connais pas la r�ponse. Pas du concentr� de tomates ; de m�taphores, les premiers textes de Schmidt.

Le rapprochement entre C�line et Schmidt a d�j� �t� fait � plusieurs reprises, je pense. Bien s�r : tous les deux grandes gueules, sale caract�re, positivistes (Le positivisme n'est pas une tare, au contraire !), tout ce qu'on voudra. J'entendais des rapprochements de proc�d�s.

La 'po�sie�piquetout�a', aucun des deux n'en �tait un chaud partisan. A partir du moment o� on consid�re que la prose est susceptible de traitements aussi int�ressants, voire plus, que la po�sie, on s'embarque dans bien autre chose que du 'langage parl�'. Rappelons-nous �galement que Faulkner (et son langage 'parl�') est un cauchemar pour Schmidt. C�line ne dit pas autre chose :

On a tout dit quand on a proclam� que j'ai moi AUSSI (comme les Am�ricains, �videmment !) �crit des livres en langage parl�. Tout le secret ! Archi-ben�ts ! Il s'agit de tout autre chose : d'un langage rythm� interne sans d�faillance sur 630 pages ! Allez-y ! Essayez ! (Cahiers C�line n�6, p. 177.)

Dire que C�line fait l'�motif est peu pertinent : <<Rien n'est laiss� au hasard. [...] D'avance quand je construis un livre, je vois la porte, les fen�tres, le toit. Tout est dessin� dans ma t�te avant que je commence, � une ligne pr�s.>> C'est apr�s seulement que peut commencer ce que Schmidt appelle le 'traitement de surface'.

La manchette 'C�line auteur r�aliste' est �galement du journalisme : <<Les peintres ont abandonn� le sujet peu � peu. J'ai tent� la m�me aventure. Mais �a me concerne seul.>>

On sait de quel Arno Schmidt on parle. Je voudrais surtout pr�ciser de quel C�line je parle. Et la lecture des fulgurantes bribes de Dubuffet, on ne pourra s'emp�cher de supposer des liens insoup�onn�s et � creuser entre C�line et Schmidt :

" Je tiens C�line pour un g�nial inventeur, un po�te (mais ce terme si galvaud� de po�te le d�finit bien faiblement) d'ampleur consid�rable, pas seulement � mes yeux le plus important de notre temps mais des plusieurs si�cles qui forment les temps modernes, une des plus grandes charni�res de l'histoire de l'�criture. Il faut que la nature propre de l'art et de ses hautes danses soit bien occult�e, que le go�t port� � la pens�e analytique et discursive ait pris le pas sur les incandescences de la cr�ation po�tique, qu'on ne demande plus davantage � la litt�rature que des ratiocinations sur des sujets aussi primaires, aussi plats, aussi oiseux que le sont des d�bats de sociologie et de civisme. Il est � remarquer que l'hostilit� dont fut l'objet C�line se d�clara bien avant qu'il ait manifest� ses vues sur aucun terrain politique. L'intelligentsia sentit l� qu'on se mettait � d�truquer - comme on d�mine. Quand appara�t le d�termin� d�boulonneur, celui qui s'attaque � la centrale, le grand saboteur, les soci�taires de tous grades s'�lancent au rempart avec l'huile bouillante. "

Il m'a fallu 6 lectures de " Guignol's Band " pour arriver aux m�mes conclusions que celles de Dubuffet qui vont suivre, et sur lesquelles je suis tomb� r�cemment. Il est proprement incroyable et inadmissible que des universitaires, des gens cens�ment cultiv�s qui font les histoires de la litt�rature '� l'usage de notre temps et des temps � venir' continuent encore de raconter litt�ralement n'importe quoi � propos de C�line. Ecoutons le sage Dubuffet, car c'est ce C�line-l� qui m�rite d'�tre rapproch� de mani�re plus s�rieuse et approfondie qu'un simple article de l'oeuvre de Schmidt : " On saisit bien j'esp�re ce que j'ai en vue en mentionnant la mystification que chevauche la litt�rature. La litt�rature est en retard de 100 ans sur la peinture. Elle s'alimente depuis plusieurs si�cles non pas aux donn�es imm�diates de la vie. La peinture a depuis longtemps fait sa r�volution ; la litt�rature - C�line seul mis � part - n'a pas fait la sienne. par quiconque n'est pas tr�s averti sp�cialiste, une page contemporaine pourrait tr�s facilement �tre attribu�e � Voltaire ou Descartes. A m�me forme m�me contenu. C'est de changer la forme qui provoque changement de contenu. C'est que l'�crire cr�atif ne commence qu'o� les mots sont utilis�s non plus � raison de leur stricte signification mais avec art comme les jongleurs font des chapeaux dans une toute autre optique que de les coiffer. c'est � employer les mots de cette mani�re qu'on peut faire de leur clavier un instrument transmetteur de pens�e crue et chaude. L� est l'inauguration de C�line et elle va dans le m�me sens que celle de la peinture actuelle qui utilise pareillement les signes, les trac�s, les coloris, non plus � seule raison des figurations auxquels ils sont attribu�s mais au contraire en s'appliquant � briser leur lien trop imm�diat aux repr�sentations directes d'objets. [Les deux premiers romans de C�line] sont tr�s certainement deux admirables ouvrages mais qui restent, il me semble, en comparaison de ceux qui ont suivi, un peu dans la gangue. C�line est tr�s loin du v�risme. Il se saisit du premier instant venu de la vie journali�re et, alchimisant les faits les plus insignifiants, les pens�es et humeurs les plus banales, il �labore les hauts sabbats de l'esprit, les vertigineuses manipulations, les danses de derviches que sont les grandioses fresques de " F�erie pour une autre fois "

Il m'est impossible de commenter � l'aide d'exemples ces pr�cieuses propositions de Dubuffet. Le lecteur attentif des premiers textes de Schmidt se demandera seulement si Stramm ne serait pas l'anc�tre commun de Schmidt et C�line, m�me si le second est arriv� au m�me r�sultat par d'autres voies, voire 'tout seul comme un grand' ?


B. Nous avons dit expressionnisme !

Songeant � une d�finition possible de l'expressionnisme, on est un peu g�n� au fur et � mesure de la lecture des textes, manifestes et rationalisations a posteriori : non seulement les auteurs concern�s ne semblent pas voir dans le terme 'expressionniste' quelque chose de d�finissable, mais les critiques ont, soit tendance � faire de tout et n'importe quoi de l'expressionnisme (On dira que telle m�taphore de Gongora est expressionniste, par ex... Nous voil� bien avanc�s !) ; d'autres, abandonnant toute perspective stylistique, y voient un ph�nom�ne sociologique : de braves gar�ons intelligents (dont beaucoup ont des lettres ; certains m�me des 'doctorats') refusant le mode de vie bourgeois et se lan�ant dans des exp�riences extr�mes : on aura des expressionnistes communistes comme des expressionnistes nazis...

Je caricature beaucoup l'option 'sociologique', mais le fond y est. En r�alit�, une confrontation de textes permet de d�celer des proc�d�s communs et des influences qui sont loin d'�tre allemandes. Pour se faire une id�e des po�tes expressionnistes, le lecteur francophone pourra lire les " Po�sies nouvelles " de Rimbaud ou, mieux : Verhaeren. Historiquement, la Belgique a toujours constitu� un lieu de passage entre les litt�ratures fran�aises et allemandes : c'est via la litt�rature symboliste belge qu'on s'est rendu compte que Mor�as n'avait d�cid�ment rien compris et qu'on s'est mis en France � r�ellement d�couvrir les propositions du laboratoire de la revue 'Athenaum', et encore via les auteurs symbolistes et expressionnistes belges que le lecteur fran�ais (cette fois-ci) pourra mieux appr�hender l'expressionnisme allemand : l'expressionnisme de langue n�erlandaise (qu'il faudrait faire d�couvrir), Permeke, ou encore Jean de Bossch�re, auteur extraordinaire et un temps ami de Percy Wyndham Lewis. (Pourquoi faut-il faire des rapprochements st�riles entre Joyce et Schmidt, qui ont vraiment si peu en commun ? Un rapprochement avec Wyndham Lewis serait une b�n�diction � une �poque o� on rapproche n'importe comment tous les auteurs qui ne se situent pas dans le prolongement du r�alisme balzacien !) La peinture d'Ensor, les pi�ces de Michel De Ghelderode sont le 'must' de ce qu'en France on regarde comme expressionniste : cette bonne vieille traditions des proverbes, ces fabliaux, ce mysticisme, cet irrationalisme f�tard : pour les auteurs fran�ais, l'expressionnisme est d�masqu�, le 'germanisme' dans toute sa splendeur catalogu�. On leur dira, � ces De Ghelderode et Cie, qu'ils sont expressionnistes ; ils r�pondront qu'ils ne font que suivre la grande tradition de Bosch et Bruegel... Et voil� la critique perplexe. Il n'en fallait pas tant : il suffisait de se retourner vers sa propre tradition litt�raire, vers Fran�ois (Villon) en autres...
En r�sum�, l'expressionnisme peut se voir comme un fantasme critique constitu� d'un certains nombres de similitudes entre des esprits cr�ateurs de diff�rentes �poques. Si vous consid�rez l'expression artistique ou rh�torique comme radicalement subjective, que vous pliez le langage � cette subjectivit� d�lirante ; si vous �viter le comique de soci�t� (le seul comique id�ologiquement recevable en France o� on a toujours �t� g�n� par de v�ritables g�nies comme Rabelais, Villon, C�line et Claudel, les trouvant d�cid�ment tr�s peu 'fran�ais', au point de leur pr�f�rer de solides et ind�collables vieilles barbes qu'on continuera � mettre au programme des lyc�es ! Ah ! l'extraordinaire hypocrisie des auteurs fran�ais lorsqu'ils disent que les 'arts germaniques' sont trop gras, violents, irrationnels et d�mesur�s pour la sage et douce France... Les choses n'ont pas chang� : m�me si un grand �rudit et fin connaisseur de la litt�rature fran�aise comme Ernst Robert Curtius a, en son temps, essay� de d�finitivement r�gler son compte au bluff et complexe fran�ais connu sous le nom de 'Nicolas Boileau')... et si vous anthropomorphisez la nature, il y a de bonnes chances pour qu'on fasse de vous un expressionniste.

Anthropomorphisation de la nature (qui n'est en fait qu'une cons�quence stylistique du subjectivisme radical), comique proche du corps (un comique qui n'est jamais pur mais qui s'appuie toujours sur les marottes id�ologiques de chaque �poque : danses macabres ou th�orie des �tyms, c'est comme on voudra. C�line ignore Freud : son rapport � la mort passe par un comique du type 'danse macabre'.) et subjectivisme verbal : voil� trois aspects qui rapprochent �trangement C�line et Schmidt.

Il y en a un quatri�me, plus secret, qui n'a rien � voir avec l'expressionnisme, et qui n'est pas � l'ordre du jour : je veux parler de la passion pour les textes 'sans ombre' du 18e si�cle.

Il y en a enfin, un cinqui�me, encore plus secret, mais cette f�erie-l� sera toujours pour une autre fois : elle a partie li�e avec le jardin secret de ces deux auteurs, leur mythe heureux, le coup du vieux et de la jeune, avec Pygmalion, qui se retrouve tant de fois dans la litt�rature europ�enne, de Guillaume de Machaut � Poe (qui a d�finitivement ab�m� ce mythe) en passant par Wycherley, Chaucer et Hans Sachs (On peut ab�mer ce mythe de multiples mani�res, notamment en tombant sur des demi-dingues hyst�riques : Brentano (par deux fois !), Gu�non, Bloy...) , et qui a trouv� son expression la plus pure dans le splendide " Pr�ambule de 1806 " de Bernardin de Saint-Pierre, lui � propos de qui je lis ceci dans le " Patrimoine litt�raire europ�en 10 " : " Le dernier Bernardin n'est pas le moins surprenant : cet adulte retard� s'est �panoui dans la vieillesse. Les " Harmonies de la nature " le montrent s'abandonnant � un d�lire classificateur proche de Fourier et mettant en oeuvre une combinatoire vertigineuse et inachevable : apr�s l'�le, le continent, la sph�re, les cercles concentriques. Une science obsol�te, mais l'�dification d'une cosmogonie po�tique [...]o� le vieux r�veur l�che la bride � ses fantasmes avec une jeunesse de coeur �bouriffante, la chevauch�e visionnaire d�bouchant sur un Sacre du Printemps doubl� d'un hommage fabuleux � la femme-enfant, idole charnelle dont le barde bourru accepte, enfin r�concili� avec lui-m�me, de subir la douce et ferme domination. " Jardin secret : oui ; femme-enfant, soumission et r�conciliation avec soi-m�me : certainement pas. " Je n'capitule pas " = la f�erie est TOUJOURS pour une autre fois. Enfin... j'invite une exquise jeune fille - il y faut absolument une femme ! - � traiter l'�quation ILE + IDOLE CHARNELLE + UTOPIA + HOMME-LIVRE + plusieurs inconnues = Arno Schmidt � ma place. Les hommes sont techniques, para�t-il. Voici donc :

Je me propose d'examiner quelques aspects de ce subjectivisme verbal. Il faudra avoir en t�te le texte de Dubuffet et l'hypoth�se que j'�mets � propos de Stramm comme voie privil�gi�e pour comprendre que je ne peux qu'esquisser et indiquer � grands traits et petits exemples dans un article ce qui r�clamerait un ouvrage complet.

C�line et Schmidt sont des auteurs intelligents, cela va sans dire. Ils pr�f�rent dynamiter eux-m�mes leur texte plut�t que de laisser les critiques chercher ces sempiternelles 'pistes de lecture'. Pour <Guignol's Band>, par exemple, la critique, surtout structuraliste, s'arrache les cheveux pour trouver une coh�rence textuelle ou, au minimum, pour syst�matiser les symboles du texte ; c'est que, on l'oublie peut-�tre un peu trop, C�line est un homme � style. De m�me que Schmidt fait comprendre � plusieurs reprises, parfois implicitement, que rien ne le fatigue plus que ses propres id�es... Pour des commentaires pertinents sur Proclos, ce n'est ni chez C�line ni chez Schmidt qu'il faut sonner. C'est comme �a parce que c'est comme �a, et si c'est comme �a, c'est bien parce que �a doit �tre comme �a, dirait le comique involontaire Fichte...

Ce n'est sans doute pas tant une haine des id�es ; plut�t, ce qu'on constate chez beaucoup d'expressionnistes, une conscience aigu�, qu'on retrouve tant chez Villon que chez Stramm, C�line et Schmidt, que les besoins �l�mentaires (faim, soif, envie, vanit�, d�sir sexuel) sont les multiples substrats fondant l'exp�rience humaine et que toute rationalisation a posteriori n'est que convention sociale, hypocrisie, mystification et couche de verni. Il faudra bien un livre sur Karl May pour d�-mystifier (� l'aide d'une r�organisation totale sous influence freudienne des quatre modes de lectures traditionnels : litt�rale, morale, all�gorique et anagogique. Il faudrait d'ailleurs rapprocher les d�mystifications de Schmidt du commentaire de " Seraphita " de Balzac par Roland Barthes.Et les m�thodes de lectures de Schmidt doivent beaucoup � la tradition m�di�vale et devraient constituer une le�on d'humilit� pour les obs�d�s des sciences humaines de ces 40 derni�res ann�es qui, bien souvent, ont l'air de penser que les auteurs du pass� sont des imb�ciles mais que, EUX, ils ont invent� la science infuse. Qu'on juge sur pi�ces : la lecture quadripartite a tenu 1 mill�naire.. et les sciences humaines se remettent en cause tous les deux mois. Ou alors l'extraordinaire trouvaille de Greimas, qu'on prend pour le fin du fin, et qui consiste � dire quand une chose commence, elle aura (s�rement) une fin et qu'on lui trouvera un milieu...)

En r�gle g�n�rale, les structuralistes ne s'int�ressent qu'au signifi� du texte en prose, r�servant le jeu des signifiants � la po�sie, ne se doutant pas qu'un prosateur puisse... Laissons : la prose est tellement m�pris�e qu'il semble naturel de peiner en lisant Mallarm� ; mais que C�line, Joyce ou Schmidt tente de nouvelles choses et on crie au scandale. Les proses int�ressantes se d�marquent justement de la prose parl�e. On peut s'en r�jouir, comme Gertrude Stein : << on a toujours essay� d'�crire comme on parlait et ce n'est que depuis assez peu de temps en comparaison qu'il est vrai que la langue �crite sait que c'est sans int�r�t et impossible � faire, je veux dire d'�crire comme on parle, parce que n'importe qui parle parce que tout le monde parle comme les journaux et les films et la radio disent de parler, la langue parl�e a cess� d'�tre int�ressante si bien que petit � petit la langue �crite s'est mise � dire quelque chose et le dit d'une autre fa�on que la langue parl�e. Nous r�ussirons donc bient�t � avoir une langue �crite c'est-�-dire quelque chose d'� part en anglais.>> L'effet boomerang de l'affaire peut devenir pathologique dans la vie quotidienne: Schmidt s'exprimant 'comme un personnage de Jean Paul', C�line ne s'exprimant plus que par 'explosions' dont la syntaxe ne ressemble � rien de connu dans le langage parl�, et Joyce, qui, quand il lui arrivait de parler, ne s'exprimait que par borborygmes.

Beaucoup de personnes se lassent de l'anecdotique. Je l'ai d�j� dit : les discussions philosophiques de caf� entre Lucius et Settembrini (Je dois s�rement me tromper de romans...), tout le monde adore ; la litt�rature, pas des masses. donc : Schmidt est anecdotique. Il lui manque la 'sage et profonde exp�rience de vie' du conseiller hydro-�lectrique. (Ou alors - comme C�line, d'ailleurs, mais dans un autre registre - se lance dans d'insupportables et lassantes tirades sur.. Soit : tout lecteur de Schmidt s'est surpris � crier � voix haute : " Ca va � la fin ! Marre ! On commence � le savoir que t'as �t� en Norv�ge ! "

Reprenons et essayons de convaincre � l'aide d'un exemple concret tir� du 'Schmidt fran�ais' (comme pourraient le dire des journalistes): au-del� des apparentes futilit�s de l'intrigue et les continuelles digressions narratives, la texture verbale est l'�l�ment cl� des romans de C�line.

Plus particuli�rement, <Guignol'sBand> est structur� par le son, qui sature le texte et lui assure une coh�rence. Une gigantesque mosa�que de sons �tend son emprise sur tout le texte. Si si. Sans l'organisation sonore de ce roman, beaucoup d'endroits du texte restent � l'�tat de fragments h�t�rog�nes et d�cousus. Dans <Guignol's Band>, le son module et dirige - au sens orchestral du mot - une grande quantit� de th�mes & motifs.

Au d�but du roman, mention est faite d'un 'Fritz qui nous vrombit' : ce syntagme n'insiste pas tant sur la nationalit� de l'ennemi (on s'en fiche) que sur la distorsion verbale : en rendant 'vrombir' transitif, C�line laisse supposer que, bien qu'il largue des bombes, c'est surtout le bruit que fait cet Allemand qui est insupportable, et que voil� un homme qui attaque les autres avec du bruit.

La r�f�rence � l'agresseur escamot�e, les personnages de C�line sont litt�ralement assi�g�s par le son - comme le lecteur -, se retrouvent dans <<la forge du tonnerre de Dieu>>, un monde o� <<le ciel r�le de rage>> contre les �tres humains, et o� le vacarme est <<� fracasser le ciel et la terre>>. Id�e : un rapprochement int�ressant � faire avec le mauvais d�miurge qui semble planer au-dessus de la t�te d'Arno Schmidt.

Ces citations du texte c�linien proviennent du 'prologue' du roman. Lieu : Orl�ans ; date : 1940 ; or, le roman entier se d�roulera � Londres durant la premi�re Guerre mondiale. Le terme musical de 'prologue' me semble plus qu'autoris� dans ce contexte-ci. Dans l'op�ra - et singuli�rement wagn�rien - le prologue se situe hors de l'action dramatique proprement dite tout en annon�ant les principaux th�mes � venir. La construction de <Guignol's Band> ob�it � cette structure : Orl�ans en 1940 est le prologue qui programme et dispose comme un champ de mines la plupart des �l�ments sonores � r�appara�tre au cours de la fiction. Quant � la fiction londonienne en elle-m�me, ce n'est pas qu'elle soit d�pourvue d'int�r�t, mais elle ne sert qu'� moduler & mettre en mouvement au moyen de personnages les �l�ments sonores. Vous n'�tes pas forc�s de me croire. Je n'ai cependant pas le temps pour la d�monstration. Tant mieux pour vous, du reste.

Un exemple, pourtant. Ni C�line ni Schmidt ne sont de grands amateurs du monologue int�rieur. Il faut ruser autrement, et bourrer ses vocables de sens seconds pr�-programm�s. Voici :

Je voyais �a bien comme lui le gars l� sur la r�clame... le magnifique cow-boy tout debout sur ses �triers... il montrait fi�rement l'Australie, un paysage qu'on en mangerait d'opulente �panouie verdure... Ah ! j'y pensais de plus en plus !... Je me ferais la malle un beau matin... tambour ni trompettes !....

La mention d'instruments de musique � fonction militaire est a priori incongrue. (Je sais, il s'agit d'une expression fig�e. N'emp�che que le contexte autoriserait bien d'autres expressions fig�es qui ne renverraient pas au son...) En parlant de remplacer le tr�s peu satisfaisant monologue int�rieur, voici ce qui se passe dans ce passage : l'attention de Ferdinand est port�e sur une affiche publicitaire montrant un cow-boy australien. Cette impression visuelle, par un canal visuel, donne lieu � un souvenir militaire : le cheval du cow-boy rappelle � Ferdinand son r�giment de cavalerie. Ferdine a peur d'�tre r�engag�. Le r�sultat de ces impressions visuelles est exprim� verbalement par un canal sonore. Articul�s comme de v�ritable 'leitmotivs textuels', les deux mots 'tambour' et 'trompettes', gr�ce au r�seau sonore install� en d�but de roman, suffisent pour exprimer trois, voire quatre, notions. M�moire 'phonique' de Ferdinand.

Si Schmidt et C�line n'�crivent pas de mani�re sentimentale, le but � atteindre - de m�me chez Stramm - est une restitution de l'�motion. Un des paradoxes de l'expressionnisme est d'atteindre � l'�motion la plus pure par des moyens uniquement techniques. Comme dirait Bresson : on obtient l'�motion par une r�sistance � l'�motion, par une 'froide' technique.

Reprenons mon 'Fritz qui vrombit'. Dans sa pr�sentation des po�mes de Stramm, M. Radrizzani cite Mauthner (qu'il faudrait peut-�tre un jour se d�cider � traduire en fran�ais), qui soutient qu' " on aimerait bien voir dans la langue un Etat anarchique id�al o� chaque besoin cr�e la forme qui lui convient. " Et de donner l'exemple de 'Der Baum ist gr�n' et du 'Baum' qui 'gr�nt'. Bien. Et on comprend parfaitement l'int�r�t de Schmidt pour les 'n�ologiens' comme Oken (Nous avons les n�tres, h�las, jamais �cout�s : Mercier, par ex.)

Mais nous avons une telle m�compr�hension des intentions c�liniennes en France et un tel complexe 'Vincent Voiture', que M. Radrizzani trouve des " hardiesses propres � Stramm, telles l'emploi transitif d'un verbe intransitif ou la suppression du pr�fixe de certains verbes, IMPOSSIBLES EN FRANCAIS ". Mais bon Dieu, qu'est-ce que j'essaie de faire avec mon 'Fritz qui vrombit' depuis quelques lignes ? ? ? Et croirait-on que C�line est le seul et que c'est interdit ou impossible, que je vous balancerai - pour rester dans le m�me s�mantisme, mon Barbey d'Aurevilly des grands jours : " Pendant que les Prussiens OBUSAIENT Paris, je lisais Goethe. " Bingo !

On l'aura compris : il faut, avant de s'atteler � une comparaison fructueuse de C�line et Schmidt, entreprendre une d�molition en r�gle et typiquement schmidtienne par son �rudition terroriste de tellement de fausses id�es qu'on baisserait bien volontiers le bras.

Pourrait-on demander aux acad�miciens, aux critiques et aux 'auteurs' de graver ceci du doux (mais attention : col�rique ici !) Albert-Birot dans leur cervelle :

" Je me reconnais pour la ponctuation les m�mes droits que pour la syntaxe et l'orthographe, quand je mets des virgules et des points j'entends mettre ces signes � la place qu'ils occupent dans mon esprit cependant que j'�cris et non point toujours � la place que m'indiquerait Vaugelas. " ? Pas �tonnant que la litt�rature fran�aise soit un h�tel de passe insalubre depuis 60 ans, tout compte fait...

A part �a, il y a des choses qui vont de soi mais qu'il faut rappeler. Les motifs de l'exclusion du 'faussement bavard et poussi�reux' subjonctif pass� (� la forme qu'on voudra) sont les m�mes. Si le besoin principal est la restitution d'une qualit� d'�motion, il est normal que les proc�d�s c�liniens et schmidtiens se confondent jusqu'� un certain point : une utilisation maximale du pr�sent afin de faire co�ncider le pr�sent verbal de la page avec le pr�sent de la lecture, un usage plus que rar�fi� des subordonn�es, remplac�s par des principales explosives noy�es dans des explosions de ponctuation expressive...

Je continue toutefois avec mon C�line - la comparaison avec Schmidt �tant difficile pour des raisons de place et de table rase pr�alable.

Les personnages sont tous contamin�s par le r�seau sonore. Un exemple : Cascade, souteneur fran�ais, refuse de parler anglais. Lorsqu'il le fait, il d�forme les mots de mani�re cocasse et m�prisante. Sa haine de l'ordre �tabli est sonore : Que je suive sa fanfare ! Que je parte avec lui au Recruting ! Voyez �a un peu ! A London c'est la CONVICTCHIO�N ! Voil� t'as saisi ? Tu r�alises pas ? Non ? Ca se dit comme �a ri-a-la�se !... �a c'est english dis ! Spoken ! Ri-a-la�se !

Je vous en donne un petit dernier. Deux personnages tapent sur du m�tal (fabriquent des masques � gaz...) Impressions de Ferdinand, qui est dans le jardin : Baradaboum ! Tout resursaute ! c'est un fracas effroyable ! le chahut atroce... Ah ! mes pauvres oreilles ! Broy�e ma t�te ! � ferraille ! Heurtant physiquement Ferdinand, tout bruit qui de pr�s ou de loin ressemble � un bruit de m�tal se transforme en douleur insens�e, � tel point que le narrateur se met � ha�r les parties du monde civil qui se chargent de travailler le m�tal. Probablement � cause de son infirmit� otologique (sifflement dans l'oreille), mais aussi � cause de l'amalgame �motif qu'il fait entre l'industrie m�tallurgique en temps de paix et l'utilisation des produits de celle-ci par l'arm�e en temps de guerre pour construire des canons, Ferdinand annihile l'opposition entre la chose civile et la chose militaire par association sonore : Ah ! c'est comme un bombardement ! Voil� leur violence ! On dirait un marteau-pilon... Quelque Creusot de force des bras !... Ah ! ils m'�pouvantent !. (La classe remarquera aussi que la r�f�rence au Creusot n'est pas anodine ; elle montre le soin apport� au choix lexical : non seulement le Creusot �tait sp�cialis� dans la m�tallurgie, mais l'acier produit servait � la construction de... moteurs d'avions. Par cons�quent, ce terme concat�ne le bruit et le m�tal.)

Encore quelques exemples pour le plaisir.

" Synesth�sie sonore : Ca ronfle le feu !... plein la maison...
" L'association du feu avec un bruit de mart�lement m�tallique am�ne des variations dantesques sur Vulcain : ...cent mille chaudrons ! enrag�s ! Ca y est ils s'y remettent ! (Malgr� le c�t� dramatique de l'histoire, le jeu et la parodie ne sont jamais bien loin : Virgine et Ferdinand dans le jardin d'Eden jouent avec Dieu. Arrive Vuclain, qui chasse Dieu et s'en prend � Ferdinand... qui se cache dans un buisson ardent !)
" Et on solidifie du son ici : Ca d�ferle concasse bourre les vitres ! voil� des �clats plein le jardin!
" Concat�nation sonore, par oreille interpos�e, entre le sifflet du flic et la ferraille : ...et je le vois l� !... le Matthew mon flic !... Son oeil d'acier !
" M�taphorisation constante de la guerre au moyen de termes musicaux. Objectivation (emploi de termes musicaux dont le sens est reconnu par tous) d'une impression sonore (par d�finition subjective). Ainsi, au lieu de dire que 'des bombes tombent', C�line dit qu'il y a des 'rigodons pleins les pav�s'. Parfois, la prose de C�line atteint des sommets de concentration m�taphorique et de fulgurance baroque qui, comme chez Schmidt, nous m�nent tr�s loin, de ce qui est raisonnablement de la 'prose romanesque'. Avec C�line et Schmidt, la prose a gagn� le pari initial de Flaubert contre la po�sie : Mod�le Nostradame !... que c'est vraiment pas � survivre de commotion d�courageante !... sous les v�roleries m�caniques, tribulations p�trolif�res !... Mais le branle-monde est en musique... rien ne saurait stopper la danse !... C'est le Musette Tonnerre de Dieu !... Et l'�gr�nement des cent mille morts, des mille oiseaux piaillant, piaulant au vol autour, tramant les airs... Dans ce passage, le s�mantisme de la danse et de la musique (corrig� par les termes '�gr�nement' et 'tramant', qui donnent l'impression de quelque chose se construisant dans l'espace) est pr�sent avec une telle densit� lexicale (et culturelle : voir le 'Rappel des Oiseaux' de Rameau) que pour certains, il ne serait plus permis de parler de prose : pour Jakobson, la m�tonymie domine la prose romanesque et la m�taphore la po�sie. De deux choses l'une : soit C�line est un po�te qui s'ignore, soit Jakobson s'est encore tromp� (Ce ne sera pas la premi�re fois. J'avoue que j'ai un pr�jug� assez d�favorable � l'encontre des 'linguistes', dont beaucoup connaissent - ou pr�tendent conna�tre - la grammaire de 30 langues, mais ne sont pas fichus d'en parler une seule correctement. J'invite les lecteurs �ventuels � se m�fier de certain ouvrage dit 'de r�f�rence' paru dans la collection Bouquins et traitant des langues du monde : � l'article o� l'on est cens� d�crire la langue n�erlandaise, j'ai trouv� pas moins de 6 bourdes monstrueuses sur deux paragraphes. 'Fault le faire' !).

Je ne suis pas un adepte du comparatisme � outrance (Joyce=Gadda=Schmidt= Lezama Lima= une grosse b�tise. Disons simplement que certains croient 'en la prose', et le probl�me est qu'ils ne sont pas nombreux). Pourquoi comparer avec C�line alors ? Il travaille la prose, ce qui a rarement �t� le cas des auteurs fran�ais, est finalement le plus proche de l'expressionnisme, et... Avec Cingria, je ne vois personne � qui comparer Schmidt en France. Pour d'autres raisons, d'ailleurs. Dans le cas de Cingria, je veux dire. Et puis, il n'est pas fran�ais. Ce qui semble perturber beaucoup de monde.

Le lecteur aura souvent remarqu� que les narrateurs de Schmidt jouent parfois � cache-cache avec le vent. C'est un peu normal. L'anthropomorphisation de la nature est le roi des proc�d�s expressionnistes. Avec ces exemples de C�line que j'ai donn� plus haut, on jurerait lire du Heym ; ceci, par ex., o� le Wind " scheucht wie eine Hand die Flederma�se auf ", ou encore le 'Weide' qui 'weint das Laub'. C'est un proc�d� typiquement lyrique. Et C�line ne l'utilise jamais autant que lorsqu'il s'emporte.

Schmidt et C�line usent des bonnes vieilles techniques d'inversion de ce proc�d� pour assurer un effet comique : la r�ification du corps humain. On renverra d'ailleurs avec profit � tout ce qui a �t� �crit sur le comique bergsonien. On ne s'�tonnera pas de retrouver ce proc�d� chez Alfred Lichtenstein : " W�hrend mich ein Auto so zerschneidet / Dass mein Kopf wie eine rote Murmel / Ihr zu F�ssen rollt... " Gottried Benn est un grand consommateur de ce proc�d�, qui chez lui tourne souvent � vide, comme dans ceci : " Die R�cken sind Wund / Du siehst die Fliegen. / Manchmal w�scht sie die Schwester. Wie man B�nke w�scht. "

Traiter les personnages de romans de pantins ou de caricatures a souvent �t� signal� � propos de C�line. Vid�s comme des volailles, ils sont sans psychologie, dit-on. Erreur ! Les narrateurs � la premi�re personne de Schmidt et C�line, en raison de leur subjectivisme radical ne peuvent structurellement pas accorder d'autre psychologie aux personnages qu'ils rencontrent que celle que produit l'appr�hension d�form�e de ces derniers. Encore une fois, l'auteur auquel il faut comparer Schmidt n'est pas Joyce mais Wyndham Lewis.

C. Jean-Paul/Balzac.

En tant que romanciers, Schmidt et C�line se trouvent en porte-�-faux par rapport aux travaux accomplis sur le genre romanesque. Les travaux du structuralisme litt�raire de Barthes et Greimas portent essentiellement su ce qu'il est convenu d'appeler la narration r�aliste ; et on consid�re encore aujourd'hui que Balzac constitue la norme. Par cons�quent, un pan entier de la tradition romanesque europ�enne (curieusement celle dont se r�clame Schmidt) sera consid�r�e comme 'pas encore du vrai roman' (Rabelais, Fielding) ou de l'anti-roman (Sterne, Jean Paul (Un comble ! Alors que m�me G�nter Grass voit en Jean Paul l'inventeur du roman moderne !) Le terme 'anti-roman' me rappelle d'ailleurs certaine critique dogmatique d'il y a quelques si�cles...
Les auteurs qui effectuent un r�el travail sur la prose, qui produisent des textes qui fonctionnent par amplification continuelle (& variations autour de) quelques �l�ments de base (la po�sie ne fait pas autre chose) sont assez suspects aux yeux des amateurs de romans. Il est frappant de constater que l'ennemi num�ro 1 des �crivains qui ont fait progresser la prose est toujours le m�me gros moustachu. Joyce, par exemple, qualifiait les romans balzaciens de 'tas de mastic informes'. Nous savons aussi ce que Schmidt pensait de Balzac. (Voir aussi l'opposition Goethe/Wieland dans le <Faune>) Je tiens tout de m�me � pr�ciser qu'un jugement d'ensemble sur Balzac ne peut �tre fait que par une personne qui aurait lu deux ou trois fois l'ensemble de la <Com�die humaine>. Le jugement un peu rapide et plus qu'erron� du narrateur du <Faune> est � donner de l'urticaire � tout bon balzacien qui se respecte. (Je parlerai de Balzac plus loin, lors de l'examen du canon litt�raire schmidtien et d'un terrorisme culturel d'assez mauvais go�t auquel il ne faut pas se fier. Comme pour Ezra Pound ? Tout de m�me pas.)

C'est donc entendu : ces gens-ci consid�rent que les romans de Balzac et Mann sont sans doute int�ressants d'un point de vue th�matique, pour ceux � qui ce genre de compote pr�dig�r�e pla�t. Schmidt est fatigu� des th�mes, juste bons � �veiller un lueur de conscience le temps d'un jeu de pens�es de 5 minutes. Quant � Joyce, il a toujours affirm� que les symboles ou th�mes quelconques d�celables dans <Ulysse> n'ont d'autre int�r�t que d'offrir une charpente � son texte, dont le but esth�tique est le modelage ordonn� d'une masse importante de pl�tre verbal. Le romancier est ma�on, dit Reverdy : il coule du b�ton.

Les m�thodes sont diff�rentes, certes. 'Schmidt n'est pas C�line' (r�v�lation lue dans le journal), certes. Tout de m�me, les buts poursuivis se ressemblent �trangement. Je vais encore laisser la parole � un qui sait dire tout �a comme personne, mon cher Manganelli :

Alfieri, je l'aime beaucoup parce que c'est un �crivain presque illisible. Alfieri utilise un langage qui heurte, un langage faux, artificiel, � savoir qu'il ne tente aucunement de faire croire que quelqu'un ait jamais parl� ce langage... Peut-�tre aucun �crivain n'est-il aussi c�r�monial qu'Alfieri ; et c'est justement pour cette raison qu'entrer dans le langage d'Alfieri est devenu un labeur ingrat, car nous venons d'une culture de type romantique, qui nous a expliqu� que l'�crivain transmet la v�rit�, mais si l'�crivain est au contraire un �crivain c�r�monial, s'il est un fabricant de rites, s'il est un inventeur de danses, de structures verbales, tout cela tombe, je me trouve devant Alfieri non plus comme devant quelqu'un qui transmet, mais comme devant quelqu'un qui construit une image, qui entrelace � la fois une structure, une c�r�monie et un rite verbal, qui doivent simultan�ment me d�concerter et me fasciner. Et c'est cela qui fait constamment cette esp�ce de Tib�tain de la litt�rature de la litt�rature italienne qu'est Alfieri ; cet homme absolument �tranger, ce fabricateur...

(Pour qui apprend l'allemand, et s'essaie � le lire, Schmidt et Jean Paul sont des Tib�tains. Et c'est une chose tr�s belle et c'est ce qu'il faut que ce soit. Il n'y a pas d'autre int�r�t � lire des livres.)

Je suppose que beaucoup d'admirateurs de C�line peuvent �tre choqu�s quand on dit qu'il y a mani�risme l� o� ils voient 'vraie parole' et artifices rh�toriques l� o� ils voient 'r�alisme, la vrai vie, quoi !'.

Qu'on prenne ceci - � lire � voix haute, vous allez voir, c'est phon�tiquement bien mieux que tous les serpents qui sifflent sur vos t�tes :

Je restais l� miraux contre la coque, j'y aurais bien embrass� le bordage, tout son gros sabord puant, son coaltar, ses drisses, ses poulies qui crissent, tout son sanfrusquin, sa colosse marmite sur la braise, j'y aurais bu la soupe enti�re, la tambouille aux rats et le babil dansant clapotis, farandole autour de la coque, accourant vaguelettes, de tous les coins du bassin, apr�s son gros bide bourru, j'y aurais bu aussi ! Oh ! le gros amour ! J'aimais trop sa chanson siffleuse, brises prises aux fibres du haut, aux pointes de plus eh plus fr�les, aiguilles au gr�ement, dentelles, de vergue en vergue, � jaillir d'audace, d'azur en azur !... c'est trop ! L'�me file...

(D�j� dit) : concentration m�taphorique et savantes associations sonores tr�s peu dans le go�t de M. Jourdain.

Pourquoi mani�riste maintenant ? Chez C�line, le souci de style emp�che la r�alisation efficace d'une oeuvre romanesque. Pour chaque romancier se pose de fait le choix difficile entre le style et l'efficacit� - ou l'�conomie narrative. Une certaine critique soucieuse avant tout de la forme romanesque reproche souvent � Balzac, Dickens et Dosto�evski leurs maladresses stylistiques. Plus que des maladresses, il s'agit d'ad�quations au projet d'ensemble - � l'�conomie. Ainsi, si Dosto�evski et Balzac �crivent 'mal', c'est souvent pour �pouser les registres linguistiques de leurs personnages. Il s'agit bien d'un sacrifice stylistique en vue d'un meilleur effet de vraisemblable. A l'inverse, C�line sacrifie la vraisemblance au profit de l'harmonie formelle. (Rien n'est plus �loign� du vraisemblable romanesque que le style c�linien : tous ses personnages parlent de la m�me mani�re. 'reusement qu'il n'a jamais d� faire parler de comtesse !...)

Autre aspect : Paul Nizan avait d�j� remarqu� que le " rythme " de la prose c�linienne est particuli�rement monotone. Bien que la remarque de Nizan concernait le <Voyage> et que, par rapport � ce texte, C�line a fait d'incontestables progr�s stylistiques dans <G.B.>, ce progr�s n'est pas polyphonique ; C�line n'a pas vari� ses proc�d�s, contrairement � Joyce, mais plut�t accentu� sa 'mani�re', comme on disait autrefois.

Contrairement � Joyce donc, qui adopte chaque fois un style diff�rent selon les exigences du sujet (Joyce est bien un auteur SANS marque de fabrique, sans tics verbaux, en quoi il diff�re radicalement de Schmidt et C�line) - ce qui se remarque m�me dans le cas d'un seul proc�d�, comme le monologue int�rieur, dont les actualisations sont diff�rentes selon qu'il s'agit de Bloom, de Dedalus ou de Molly - C�line garde sa locomotive stylistique tout au long de son texte. Si on consid�re que le rythme se d�finit le mieux comme une pulsation diff�rentielle tirant sa valeur d'une confrontation entre deux cadences diff�rentes, dans ce cas, la prose de Joyce est rythmique, celle de C�line n'est que cadenc�e. Et dans certaines circonstances textuelles, la prose c�linienne est s�rieusement handicap�e par son mani�risme et incapable de rendre compte de la r�alit� de mani�re efficace. Supposons que C�line veuille rendre compte de r�alit�s sonores en �pousant les mouvements de tel ou tel type de morceau musical :

C'est la rengaine digne et ficelle... Jamais venue... Jamais finie !... tap�e, moulue, mouch�e, retorse... Coquine aux nerfs et cavali�re et qui s'impose � tous les coeurs !... Et l� pour �a !... Et pas d'histoire !... et drope lyrique ! et pompe p�dale !... et que c'est du casse-sentiments !... A la tirette !... � l'escamotte !... d'un doigt sur l'autre !... fonce aigrelette... et file et file...

D'apr�s le s�mantisme des mots utilis�s, le lecteur peut percevoir certaines qualit�s de ce qui est d�crit ici - il s'agit d'une valse - mais il ne voit en aucun cas le rapport entre les propri�t�s formelles de la valse et celles de la prose c�linienne. Jug� du point de vue du vraisemblable et de l'�conomie narrative, c'est rat� ; du point de vue formel, c'est rat� aussi. Ca n'est 'que' mani�r�. Somm� de rendre compte d'une valse, d'un tango ou d'une symphonie romantique, C�line utilisera le m�me style ; ce qui est d� au caract�re visc�ralement uniforme d'une prose constitu�e de tics et de proc�d�s qui, dans ce cas-ci, tourne en pure perte. Ce n'est pas un jugement de valeur, Jean-Pierre, c'est juste un exemple de mani�risme, Etienne. Tout se passe comme si C�line avait choisi un m�tre po�tique qu'il avait peaufin� jusqu'au mani�risme, pour l'utiliser dans tous les cas de figures, m�me lorsqu'un autre m�tre eut �t� souhaitable. Ce ph�nom�ne " rythmique " rend toutes les descriptions c�liniennes invraisemblables pour ce qui concerne l'�conomie narrative, et dans le cas de descriptions musicales, totalement inefficaces. Que l'on compare avec la r�ussite de la fugue dans <Ulysse>...

L'efficacit� narrative n'est jamais perdue de vue par Schmidt. En cela, il est plus balzacien qu'il ne veut bien l'admettre (Et quel romancier pourrait pr�tendre ne pas �tre issu d'une fa�on ou d'une autre de la cuisse de Balzac ?) : on trouverait � foison des exemples de surd�termination r�aliste chez Schmidt. Et ce n'est pas chez Jean-Paul qu'il risquait de les trouver. Cependant, pr�tendre qu'on doit beaucoup � Scott et Cooper, que Sue est un auteur important est d'une mauvaise foi flagrante. Ces trois auteurs n'ont plus d'autre int�r�t aujourd'hui que d'avoir aid� Balzac (avec Hoffmann) � incruster de mani�re g�niale, et pour la premi�re fois dans la litt�rature universelle, la litt�rature dans la r�alit�, et non l'inverse (ce que font Dumas et Scott).

Beaucoup plus que l'emploi de l'argot et de termes orduriers (apr�s tout, C�line est loin d'�tre une t�te de s�rie dans un registre linguistique o� les deux L�on (Bloy et Daudet) semblent insurpassables), c'est peut-�tre cette prose uniforme et cadenc�e - aussi brillante et jouissive soit-elle - qui fait que le style de C�line partage si intens�ment tant les auteurs que les lecteurs. Paul Nizan n'affirmait-il pas que, dans le cas de C�line, " cette soumission � une machine de langage est tr�s exactement le contraire d'un style " ?

Et je dois avouer que tout ce d�veloppement sur le style de C�line n'est qu'une parade destin�e � occulter le malaise que provoquent en moi les r�flexions du m�me type que j'entends � propos de Schmidt : cette ponctuation n'est-elle pas d�j� en soi un vaste ensemble de proc�d�s ? Ce qui chez Joyce �tait du polymorphisme de mot ne tourne-t-il pas non plus au proc�d� monomaniaque dans les substrats sexuels des jeux de mots schmidtiens ? Autant de belles questions auxquelles je ne peux r�pondre qu'en bredouillant que chaque qualit� masque une faiblesse. Sans doute. Peu importe. Tant qu'on s'amuse...


D. L'encha�n� : Schmidt critique de C�line par procuration.


C�line a, dans la s�quence 41 qui cl�ture ce qu'il a publi� de <Guignol's Band>, dynamit� tout le r�seau sonore minutieusement install�. Sur plus de 100 pages, nous assistons � une destruction jubilatoire des 7/8 du texte.

Se situant en lieu clos (Tr�s important ! On y reviendra.) - la nouvelle taverne de Prospero Jim, et faisant r�intervenir tous les personnages que le lecteur a rencontr�s au cours du roman - m�me le mort Titus Van Claben, amen� dans un sac-poubelle (�galement important : il faut que le TOUT du roman soit pr�sent dans la s�quence-dynamite) - cette s�quence peut appara�tre comme la premi�re repr�sentation d'une vraie pi�ce de th��tre - les 700 pages qui pr�c�dent n'�tant donc qu'une fausse narration, une r�p�tition g�n�rale.

Des bombes explosent au moment m�me o�, invit� � une petite f�te, Ferdinand est chaleureusement f�licit� pour son anniversaire. Pour qui a lu le roman, c'est un comble : les Allemands n'ont pas bombard� Londres depuis que Ferdine s'y trouve... et il faut justement qu'ils s'y mettent pour l'anniversaire du 'dindon de la farce'. Ce coup de th��tre est le premier des redoutables artifices qui vont transformer la s�quence en spectacle burlesque.

Il y a des similitudes certaines entre la mani�re dont C�line & Schmidt d�crivent des bombardements ; cependant, dans la derni�re s�quence de <G.B.>, tout est jeu, donc inoffensif. Bien s�r, Ferdinand se surprend encore � signaler la pr�sence du tonnerre, mais l'atmosph�re de combat m�taphysique pr�sente � l'ouverture du texte a disparu :

Une autre d�gel�e... plein les nuages �a tonne... C'est pas effarant sinistre, c'est plut�t foire et Patapoum !... du feu d'artifice !... <<Hurray ! Hurray !>> Ca cr�pite sec... �a �clate lourd, c'est le bacchanal des tonnerres... Delphine s'enthousiasme : " Hurray !... Hurray !... Celebration !...

Plus la guerre : un show hollywoodien pour les yeux ; et quand on est � Hollywood, il vous prend toujours des envies de Las Vegas : les personnages se mettent � parier sur les impacts de bombes :

Vraiment �a chiait admirable au z�nith, au grand badaboum dans tous les sens de l'atmosph�re !... des corbeilles de fleurs de feu tout au-dessus de la ville [...] Ah ! ils savaient faire �a splendide ! [...] Ca se regardait avec plaisir ! [ ...] Ils sont ressortis tous encore pour mieux admirer les effets. [...] Spectacle passionnant il faut le dire... les paris �taient engag�s... Ca joue � tout les d�bardeurs... Le premier qui verrait le Zeppelin ! La tourn�e au premier voyant ! Les projecteurs cafouillaient... Ca faisait des Ah ! Aha qu'ils accrochaient rien... la foule d�pit�e... des bord�es de sifflets...

Flaubert persuade pendant 500 pages son lecteur que l'int�r�t du r�cit se trouve dans deux sujets s�rieux : l'amour pour Mme Arnoux et la r�volution de 1848. Le dernier chapitre de l'<Education sentimentale> d�truit tellement la structure mise en place que le lecteur a l'impression d'avoir �t� bern�, et que, effectivement, Flaubert a �crit 500 pages sur RIEN. Claudel ne fait pas autre chose dans la derni�re partie du <Soulier de Sain>, parodie burlesque de tous les th�mes de la pi�ce. De m�me, le vrai finale (finale structurel) de <Ulysse> est bien l'�pisode Circ�, transformation burlesque et bord�lique du reste du roman. C�line ach�ve son roman inachev� sur une parodie g�n�rale laissant le lecteur sur une impression de frustration : tout �tait artifice et carton-p�te et, vraiment, lots of fun at Guignol's Band. Cependant, quelques pages avant la fin du livre, les angoisses r�elles de Ferdine semblent revenir, mais il est trop tard pour en tirer une interpr�tation critique : le roman s'ach�ve sur un Ferdinand traversant un pont. Il n'est pas improbable que la suite du roman pr�voyait une alternance de climax tant�t angoissants, tant�t burlesques. En ce sens, il n'est pas essentiel que le roman ait une fin : les aventures d�lirantes et sans doutes cycliques de Ferdinand ne peuvent s'achever que quand le romancier d�pose la plume, prix � payer pour les variations autour de quelques particules de base. Vraiment ?

Traiter de l'inach�vement d'une oeuvre consiste avant tout en choix �pist�mologiques, tant pour le lecteur que pour l'�crivain. Sur quel terrain faut-il en effet se placer pour affirmer qu'une oeuvre est inachev�e ? On conna�t le mot de Val�ry. Je rappellerai �galement que C�zanne est le dernier peintre � travailler un coin de toile pendant des mois. Les peintres modernes produisent souvent en s�rie, et ne gardent que ce que leur conception du hasard leur indique. Si le lecteur peut difficilement faire l'�conomie d'une interpr�tation globale - il est farouchement hostile � l'arbitraire, que lui renvoie son miroir tous les matins -, l'artiste peut au contraire consid�rer le hasard comme un �l�ment de composition fondamental. Peu importe : nous n'avons pas la place ici, mais, m�me �vacu� le d�bat th�orique, <G.B.> soul�ve de s�rieux probl�mes relativement � la coh�rence interpr�tative. La difficult� d'appr�hender ce type de texte augmente encore lorsque intervient le facteur 'genre litt�raire'. Autant pour <Soir bord� d'Or>...

Il me semble que pour beaucoup d'auteurs s'est pos� le probl�me suivant : comment refl�ter la vie (le hasard) en conservant un minimum de cette illusion impeccable et tellement gratifiante de la cl�ture du texte ? Frappant est le fait que nombreux sont ceux arriv�s � la m�me solution : les FICHES, qui permettent, outre de conserver des choses sur papier qu'on pourrait oublier, de garder la spontan�it� de l'instant. Par apr�s, une organisation consciente des fiches donnera l'oeuvre achev�e. Une analyse globale de ce type d'oeuvre est impossible puisque la microstructure de l'oeuvre (la fiche), m�me si elle est par la suite organis�e de mani�re rigoureuse, rel�ve dans son essence m�me du hasard. Arno Schmidt parle du travail par fiches comme d'une phase de r�colte de mat�riaux. Par cons�quent, au caract�re qualitativement arbitraire de la fiche - r�dig�e selon les circonstances, de mani�re al�atoire... (J'ai m�me appris r�cemment que Jean Paul essayait des lois du type : apr�s avoir mang� une pomme, tu auras plut�t une pens�e �l�giaque que satirique, etc.) dans une vie qui n'est pas un continuum, n'est-ce pas, se superpose un caract�re quantitatif : quand sait-on que la r�colte de mat�riaux est achev�e ? Quand on commence � voir un dessin sur le sable ? Sans doute, mais on peut encore apporter du sable... Et une phase de r�colte des mat�riaux de trois mois de plus donnera un <Soir bord� d'Or> bien diff�rent...

Dans ses fameux <Calculs>, Schmidt a �labor� une sorte de syst�matique de la litt�rature en prose. Ces vus th�oriques ne concernaient en principe que ses propres textes. J'ai trouv� amusant de les confronter � d'autres.

Le petit tableau synoptique (un mot que j'adore) qui accompagne <Calculs II> montre que ce dernier distingue essentiellement trois types de probl�mes de base, qui impliquent des caract�ristiques propres quant au style, au rythme, aux th�mes et m�me � la psychologie d'un narrateur. Pour les oeuvres dans lesquelles le narrateur est le protagoniste principal, les conclusions de Schmidt sont assez troublantes. Il y a les oeuvres (type feuilleton) qui s'arr�tent par manque de mati�re, celles � propos desquelles les auteurs respectifs estiment �tre arriv�s au bout de ce qu'ils avaient � dire (cat�gorie dans laquelle on peut ranger le roman � th�se, de <Quo Vadis> � la <Naus�e>, en passant par, justement, Hesse et Mann le Jeune) et celles qui, vu la richesse de l'imagination de l'auteur, ne peuvent s'arr�ter que par la mort de ce dernier ou une d�cision irr�vocable et arbitraire de sa part (" J'arr�te de r�colter du matos le 1er juin 2009... "). On peut effectivement choisir le dynamitage interne. C'est le cas de <Guignol's Band> ou de <Gravity's Rainbow>.

Pour Schmidt, ce type d'oeuvre tire sa valeur d'un rapport entre E1/E2 (en gros, l'exp�rience de la r�alit� objective/exp�rience de r�alit� subjective). Le narrateur de ce troisi�me type de " jeu de pens�e �tendu " se retire dans sa subjectivit�. Dans <G.B.>, le rapport E1/E2 est grand : les pages consacr�es au d�lire et aux r�veries sont de loin plus nombreuses que celles qui traitent objectivement de Londres et de l'intrigue qui s'y d�roule. L'attitude psychologique fondamentale de ce type de narrateur est le pessimisme : dans le cas de Ferdine, c'est peu dire. Les cons�quences stylistiques de ce troisi�me type sont essentiellement une d�formation de E1 vu comme une menace (le tonnerre, la police, le bruit). C'est ce rapport E1/E2 et ses corollaires stylistiques qui font de C�line un romancier expressionniste. Qu'on songe � Kokoschka. Les caract�ristiques principales de l'expressionnisme n'ont pas besoin d'�tre rappel�es ici : on verra ais�ment que les oeuvres de C�line en sont une illustration dans ce qu'elles ont de plus banal. Dans ce qu'elles ont de meilleur, C�line a invent� l'abstraction lyrique en litt�rature. ('Les peintres ont abandonn� le sujet peu � peu...') Dans <Guignol's Band>, ni le d�cor (E1), ni l'intrigue n'ont la moindre importance : seule compte la danse des sons sur la page. Je vois <G.B.> comme une fantaisie symphonique dans laquelle la plus ou moins grande intensit� sonore exprim�e indiquerait la cadence g�n�rale des divers mouvements, et les oppositions de th�mes sonores - dans lesquels interviennent des motifs divers (l'acier, le cheval...) - la structure. Comparse Miklos me somme d'ajouter que cette oeuvre est, je le cite, " d'une rigueur contrapuntique d�licieusement hindemithienne ". Sacr� Miklos, va ! Toujours l'impressionnisme pour rire !

Une derni�re chose, apr�s quoi j'enverrai valser C�line dans la fraise g�ante d'une oeuvre picturale enti�rement domin�e par E2...

Si les �l�ments th�oriques du troisi�me type de " jeu de pens�e �tendu " font un joli moule � <G.B.>, c'est pourtant le crit�re de la fin du r�cit qui se r�v�le d�terminant. Je le r�p�te, il n'y aurait comme fin possible pour <G.B.> que l'arr�t de E1, autrement dit, il faudrait soit que Ferdinand meurt (comme il est narrateur, c'est assez mal parti...), soit qu'on fasse d�finitivement sauter Londres (ce qui n'est pas une bonne id�e...).

C�line �tant revenu � de nombreuses reprises sur le caract�re non seulement rus� de ses oeuvres, mais essentiellement abstrait, ne serait-il pas possible d'affirmer que, <G.B.> �tant une oeuvre inachev�e, il l'ach�ve lui-m�me par la destruction burlesque des th�mes et motifs de celle-ci ( et non du narrateur, l'intrigue �tant sans int�r�t) dans la derni�re s�quence ?

Enfin, comme <F.W.>, >G.B.> est un texte dont le d�roulement dans le temps est de peu d'importance (Et qui donc, domin� par sa subjectivit�, se soucie d'harmoniser des s�quences temporelles ?) Fonctionnant par variations continues autour de quelques �l�ments, <G.B.> n'est pas conduit � son terme de fa�on harmonieuse. S'il y a refus du d�terminisme narratif, si donc la variation th�matique est par d�finition illimit�e, comment arr�ter ce faux mouvement perp�tuel ? Car enfin, les d�lires de Ferdinand ou les souvenirs d'Olmers peuvent s'�taler sur quatre pages comme sur dix, rien ne justifiant structurellement un nombre d�fini de pages. Dynamiter son texte par l'humour est tr�s certainement une mani�re de se prot�ger des attaques de E1 ; c'est aussi l'unique mani�re d'achever une oeuvre qui, dans son fonctionnement m�me, refuse l'ach�vement.

M�me sous la menace d'une arme, je ne pourrais dire que ceci : <Soir bord� d'Or> est une mise en forme de mat�riaux pr�existants fournis par le hasard de la vie ou de la culture, dont le genre tient autant d'Aristophane que du masque jacob�en, et dont le r�sultat en termes s�mantiques ne peut �tre plus pr�cis que la tr�s vague et nostalgique citation suivante :

Je voyais l'Europe - cette patrie du Parth�non et du ''doux style nouveau'' de nos premiers po�tes, de l'<Ethique � Nicomaque> et du <Songe du cavalier>, du <Rerum Naturae> et des concertos brandebourgeois, de la <Cit� du soleil> et du Requiem allemand, des <Essais> et <De l'amour>, des Muses m�taphysiques et de l'Apollon musag�te, - je voyais cette Europe 'n�tre' sous l'aspect d'une lande o� la nuit s'est mise sans barguigner, apparemment d�serte mais en fait habit�e, derri�re chaque buisson, par des �tres retourn�s � l'�tat sauvage et accroupis comme des kangourous, et qui, 'allum�s ' par l'appel insistant et obs�dant du 'tam-tam', se jettent les uns sur les autres pour se d�chirer mutuellement jusqu'au dernier osselet.

Quant � se d�chirer soi-m�me, 1352 pages de <Z.T.> suffiront.


Appendice : Discussion. Personnages : 4.

L. Ce sont des noms exotiques - dont beaucoup, il faut le reconna�tre, m�ritent de le rester - qui surnagent dans les phrases de Schmidt. C'est le p�dant Wagner.

G. Vous savez ce que Leiris disait ? Que ce " Faust " est un tel condens� de fleurs de culture, un bouillon gras, qu'il d�couragerait n'importe qui d'essayer d'avoir du g�nie.

M. Effectivement, mon cher L. : on peut parler d'une v�ritable rh�torique des auteurs cit�s, � tel point qu'� partir d'une '�poque' (restons vagues, c'est tellement plaisant), le nom des auteurs appara�tra syst�matiquement en majuscules.

F. Ce qui est pratique pour ceux qui veulent se lancer dans des statistiques...

L. Tr�s peu dans le go�t de C�line, tout �a, non ? G., si je me trompe, arr�tez-moi : il me semble qu'il lisait comme un paysan, en cachant ses livres, non ?

G. Oui. Et porter aux nues des mineurs comme Barbusse et Morand n'emp�chera pas le lecteur intelligent de trouver les r�elles influences : Shakespeare, Dante, Rabelais...

F. Rien que �a ! Il ne voulait se mesurer qu'aux plus grands...

M. Messieurs ! Avant de continuer, je voudrais pr�ciser au spectateur le lieu id�al o� nous nous trouvons, lieu o� flotte une objectivit� recevable et plus que privil�gi�e dans laquelle je le r�p�te, n'�tant pas 'schmidtien' comme d'autres sont 'nabokoviens', nous nous trouvons. Ces deux auteurs, qui ont un avis � partager sur tout, savent tr�s bien qu'esth�tiquement, un d�rapage de leur personnalit� qui s'�tale risque d'encombrer, voire d'ab�mer leurs livres, mais - parce qu'ils sont malins - cette op�ration continue et lassante d'exprimer leurs go�ts et opinions sur toutes les particules de la cr�ation est surtout une mani�re d'emporter l'adh�sion des 'hommes de peu de foi' ! Et que voyons-nous ? Que cette rh�torique fonctionne : messieurs, sans que vous le sachiez, vous voil� devenus nabokoviens ou schmidtiens !

F. Et quand ces deux �quipes se rencontrent, une conversation de salon palpitante s'engage ; � sourires entendus, � bon entendeur salut : des petites blagues sur le tr�s mauvais Faulkner fusent ; on loue Bulwer-Lytton...

L. - aussi un GRAND HOMME - la fr�quence de ce syntagme chez Schmidt laisse r�veur et ouvre sur un paysage fleuri de complexes...

F. ...sans parvenir au bout des gros romans de cet auteur de 3e ordre, qui m�rite franchement d'y rester, dans le sinistre troisi�me cercle des oubliettes de l'histoire litt�raire anglaise.

G. H�las : Debussy le disait d�j� : " les debussistes me tuent ".

L. Des effets pervers sont pr�visibles...

M. Oui : le site officiel de la Fondation Arno Schmidt offre une rubrique 'coll�gues' o� le curieux retrouvera Karl May & Bulwer-Lytton, entre autres...

L. ...mais pas de Jean-Paul, pas de Stramm. Tiens, tiens...

G. Ce besoin d'occultation des influences profondes de & chez Schmidt aurait-il d�teint sur les lecteurs... officiels ?

M. J'ai envie de dire gentiment qu'il s'agit sans doute d'un respect de la volont� de l'auteur : " Pas un mot sur Jean-Paul ! " Si les discussions de schmidtiens avertis porteront vraisemblablement sur tel ou tel point de traduction de Poe, le lecteur qui d�couvre le corpus m�rite qu'on ne lui embrouille pas la cervelle avec des influences annexes et secondaires. La litt�rature allemande est suffisamment une for�t touffue & incompr�hensible pour qu'on ne vienne pas faire croire une seule seconde au lecteur non-germanophone que Stifter et R�ckert DOIVENT absolument �tre lus sans quoi il n'y aurait pas de compr�hension d'Arno Schmidt. J'aimerais dire au novice non-germanophone qu'il doit lire Jean-Paul, Jahnn (Oui ! Vous aussi, G !), Stramm (et, pourquoi pas, aller faire un tour du c�t� de l'auteur de chevet de " Soir bord� d'Or " et " School for Atheists " : D�ubler, qui intriguait m�me l'imperturbable James Joyce...), mais je voudrais aussi lui dire que beaucoup de noms d'auteurs qu'il va rencontrer ne sont que des plaisirs de lettr�s pervers et qu'un " Soir bord� d'Or " doit plus � Aristophane et aux derni�res merveilleuses sottises de Shakespeare qu'� toute la troupe des Bulwer-Lytton, Borrow, et autres d�terr�s de l'histoire litt�raire.

F. Je voudrais surtout lui �viter de se mettre en t�te de lire des auteurs qui ont fait fureur, comme ce Lafontaine, au motif que Schmidt lui aurait consacr� un de ses essais...

G. Allons, allons, M ! Ne d�versez pas sur nos t�tes - souvenez-vous que la bande tourne ! - le fruit d'une simple humeur sarcastique !

M. Les lecteurs ne sont pas aussi b�tes que Schmidt veut bien le croire ; seulement, notre auteur favori � tous a d�cid� une fois pour toutes qu'il devait guider le lecteur dans ses lectures, " estimant que 'ses' classiques devaient �tre 'les' classiques, et les seuls classiques, donc bient�t connus de tous sur le bout du doigt " (Butor, Essais sur les modernes, parlant de Pound).

F. C'est une attitude moderniste typique. Et vous savez ce que nous autres, en Irlande, on en pense, des modernistes !... Quand je pense � tous ces universitaires qui essaient de caser p�niblement leurs Max Planck, Einstein, Duns Scot et toute leur grande culture dans ce FW ! On sait pourtant bien que ce livre a �t� influenc� principalement par des idioties, des comptines ridicules, de mauvaises pi�ces de th��tre du si�cle dernier ou encore ce Sheridan Le Fanu ! Vous ne voyez donc pas ? LUI - votre Schmidt - s'amuse avec ses auteurs-f�tiches, ET VOUS, vous voudriez en faire de belles, graves et humanistes interpr�tations ?

L. Oui. C'est malheureux. Les gens ne veulent pas DE culture. Ils veulent p�niblement se hisser au niveau de ce qu'ON estime qu'ils doivent savoir. Ce Gombrowicz n'�tait pas si sot en disant que les gens ne vont pas 'au mus�e' ; plut�t : la doxa les a pris par la peau du cou, les a emmen�s jusqu'au mus�e, coll�s le nez sur un tableau en disant : " Admire ! "

F.- Et comment donc devons-nous t'interpr�ter, Schmidt ? - Mon art est la rh�torique, F. 2 500 ans, qu'elle a, cette com�die continue ! Chaque fois, il faut qu'une arm�e enti�re d'humanistes rappelle les oeuvres � l'ordre, les fasse rentrer dans le rang de ce qui est sage, non-ambigu, digne d'�tre appris � l'�cole ! Vont-ils une fois pour toutes comprendre que la culture est justement ce qui ne s'enseigne pas ?

G.Alors, dans le cas de C�line et de Schmidt, il ne s'agirait pas que de 'camouflage' ?

M. Messieurs ! Bien s�r qu'� un niveau infra-rh�torique, il s'agit d'avancer masqu� avec une panoplie compl�te de fantasmes, r�ves & complexes... Cependant, et j'insiste sur ce point, faire de la critique consiste � transformer des oeuvres en gentils bibelots humanistes. L'humaniste, comme le philosophe, �prouve une sainte terreur � l'id�e de penser que 'ambiguus' poss�de deux 'u' ! Voil� qui n'est pas rationnel, pense-t-il ! Voil� pourquoi le jeune homme qui nous meut pr�sentement pr�f�re la forme dialogu�e aux d�monstrations. Que se passe-t-il, � G. au doux langage ?

G.Et bien, ce C�line a pouss� la haine du 'fix�' plus loin que Schmidt. L� o� Schmidt simule un perp�tuel saute-mouton culturel avec ses lecteurs, C�line aboie ! Si on lui demandait aujourd'hui ce qu'il pense de ceci ou cela, il vous r�pondrait : " POUEEEETT ". Depuis toujours, il r�pondent " poueeettt ", seulement C�line le crie un peu plus fort que les autres...

M. Ou de mani�re moins fine... Mais il est entendu, messieurs, qu'on ne passe pas plusieurs heures sur une phrase quand on a quelque chose � dire.., ou alors on se fait 'sermonneur sur la montagne'. A ce propos, F., les effluves � 40� dans lesquelles vous vivez constamment m'invitent, moi qui suis l'a�n� et le plus sage d'entre vous, � r�capituler certaines choses. Vous avez parl� de 'graves humanistes' & de 'culture qui ne s'enseigne pas'. Bien. Jusqu'� un certain point, tout le monde vous approuvera. Mais j'adopterai un point de vue plus historico-psychologique pour d�celer les raisons des Bulwer-Borrow-et-les-autres. Il se trouve, pour notre malheur, que nous sommes � une �poque o� les valeurs litt�raires - pour un tas de raisons : parce que Hermann Broch a sans doute raison, parce que la vitre mallarm�enne est aujourd'hui un vulgaire rideau de douche moisi, parce que nous ne construisons plus de cath�drales, parce qu'il n'y a plus de pouvoir centralisateur et normatif : faites votre choix - n'existent plus. Mon ma�tre, P., le pantin cosmique, laisse entrevoir qu'il a ouvert le robinet de son inspiration d�mentielle du jour o� il a �limin� de sa cervelle TOUS les clich�s qui y �taient contenus touchant les valeurs.

F. Et �a pouvait aller tr�s loin : jusqu'aux clich�s orthographiques et paragraphiques...

M. Oui. Mais P., comme Joyce, faisait partie des gens qui n'�taient plus 'adulescens' bien avant la premi�re boucherie internationale de 1914-1918. Toutes les grandes r�volutions langagi�res extr�mes sont le fait de gens n�s avant 1900 : personne n'est linguistiquement all� plus loin que Stramm en Allemagne, que Joyce en Grande-ZuritriestEIRE ou que Bi�ly en Russie... ou que votre compatriote C�line, G !

L. Qu'est-ce � dire, M ?

M. Qu'est-ce � dire ? Cela est fort simple : le prix � payer aujourd'hui pour un exp�rimentalisme lucide et individualiste - et ne parlez pas de ces arm�es d'abrutis mao�stes qui font de la po�sie concr�te EN GROUPE, comme on va au concert EN GROUPE - est une mauvaise conscience dont la face la plus laide est le dogmatisme conservateur...

L... et la plus belle une nostalgie goeth�enne...

M. oui - je vois que vous me suivez - non pas de l'ordre, ni de l'action - mais de l'idylle, du 'bon vieux temps', du temps o� on savait encore ce qu'�tait la lecture en Allemagne, du temps o� douce France vous ber�ait aux suavit�s m�caniques de Rameau, du temps o� nous lisions Kotzebue au coin du feu, du temps o� � Paris, C�line pouvait encore entendre de vieilles comptines pas encore empoisonn�es par l'agressivit� de la musique n�gre. Vous me suivez, G. ?

G.Je crois. Puis-je faire une d�monstration ?

F. A votre aise !

G.Voici : " - tout ratait, il �tait chaque fois sauv� par l'incroyable inertie de Weimar, ses fiches, sa hi�rarchie, sa routine. Mabuse, c'�tait un retour en arri�re sauvage, un �clair de charisme �chappant aux plaques Agfa du dimanche apr�s-midi, l'�preuve sortant toute blanche du r�v�lateur � chaque fois... L'inventeur Rothwang, Attila, Mabuse der Spieler, Prof.-Dr Laszlo Jamf : tous n'avaient qu'un seul d�sir, une mort dont on d�montrerait qu'elle �tait une joie, un d�fi, rien de la mort bourgeoise d'un Goetzk, illusion accept�e m�rement, avec la famille au salon, et ces visages que les enfants savent d�chiffrer... " Nous �tions comme �a, vous savez. Guillaume, qui trouvait la guerre d�cid�ment une belle chose, C�line qui s'�tait engag� volontairement...

F. M�me ces expressionnistes... dont certains aussi �taient volontaires... La guerre, une belle chose. Stramm ressentait des extases cosmiques sur le front.

G. Peut-il y avoir une ad�quation entre audace de l'imagination, audace lexicale et syntaxique, d'une part, et un mode de vie ? On a beau faire des choses int�ressantes, on finit par s'inscrire au parti communiste, � devenir nazi ou alors d'adopter l'attitude probablement la plus pitoyable qui soit, celle de ce dermatonaniste Gottfried Benn.

M. Pouvoir de l'idylle ! Ces Schmidt et C�line se trouvent tellement en porte-�-faux par rapport � leur �poque ! S'il n'avait pas eu les probl�mes qu'on sait et qu'il avait bien cherch�, ce C�line �tait parti pour faire des grosses f�eries bourr�es de trouvailles stylistiques. Surtout avec son " Guignol's Band " : il ne voulait plus qu'une chose : aller au bout de son style d'un c�t�, qu'on lui fiche la paix de l'autre.

L. " Sauv� par l'inertie de Weimar ", disais-tu ? Cette phrase est tr�s profonde. Est-ce pour cela, par inertie, par haine de l'exaltation, par nostalgie du 'bon vieux temps' que ce Schmidt s'effraie parfois devant ce qu'il pourrait oser s'il suivait Stramm ? mais ce soir, il y a Freddie Breck � la T.V., et nous ne voulons plus de cette ad�quation tent�e mais impossible entre la vie et l'imagination... Le mot d'ordre est donc : " Aime la syntaxe de Jean-Paul, aime ce Stramm qui creuse le lexique jusqu'� l'os, mais reste assis et suis les conseils de Goethe. Il t'est permis d'inverser ses plates sentences et de faire part au lecteur de ta profonde exp�rience de la vie en truffant tes textes de maximes ; de sorte que tu pourras dire : " la vie est un beau bourbier "

F. Pour ce qui est de suivre les cas-limites... Ce qui est faisable n'est pas toujours souhaitable.

G. Et pour C�line : " Mes audaces stylistiques ne refl�tent que mon �poque, en r�alit� je n'aime que le pass�, suis un petit bourgeois de Paris qui pleure � chaudes larmes en pensant au bon vieux temps des bec � gaz, de Couperin, des petits oiseaux, et moi aussi je fais des sentences d'un niveau intellectuel redoutable, et qu'on part dans la vie avec les conseils des parents, et que toutes des salopes, et puis fichez-moi la paix je voudrais vivre dans mon imagination, POUEEETTT "

F. Oui ! Ote-toi de ma lune, toutes les issues sont bouch�es, laissez-moi �crire en paix, pour votre monde ext�rieur, je m'ach�terai bien une t�l�vision, et laissez-moi penser que tous ces coll�gues du bon vieux temps de 1770-1820 finiront bien par murmurer dans ma maison, et puis ils viendront et nous danserons tous en rond dans l'�ternit�, mais s'il vous pla�t, qu'on me fiche la paix avec ce Freddie Breck, parce que mon idylle � moi est de qualit�, pas la v�tre, votre gamin, l�, le Fiasse, de qui parlait-il d�j� plus haut ?
M. De C�line et Schmidt. Le premier a abandonn� toute pr�tention au sens ; le second joue et bourre ses textes de tous les d�bris culturels qu'il peut ramasser. Cette Ann'Ev' par ex... Quand on est mi-pythie mi-luxembourgeois, on est une hamadryade qui ne dort plus dans un arbre, mais, de mani�re plus bourgeoise, idyllique et artificielle : dans un tonneau. Ce qui permet �galement de faire de cette donzelle une all�gorie morale en prenant comme substrat mythologique un personnage r�el dont la doxa nous apprend qu'il repr�sente le nomadisme, le citoyen du monde, partout chez lui, celui qui n'a que l'exp�rience et la nature pour lui. Et " Soir bord� d'Or " est une Com�die du Tonneau swiftienne qui rejette face � face deux conceptions irr�conciliables, dont l'une est vou�e � dispara�tre � court terme : le go�t du travail, le besoin de valeurs communes qui ne soient pas le fruit de la nature, le respect des Anciens grands hommes, la conception de l'imitatio au sens noble du terme comme borne contenant les originalit�s trop criardes qui risquent de tomber dans des d�notations st�riles... La culture, en somme, dont nous savons qu'elle n'est plus ; seulement parfois encore sing�e.

L. Et vous voulez dire quoi avec �a, M. ? Que nous singeons ce qui n'est plus ?

M. Je r�pondrai diff�remment. Imaginerait-on un enfant d�couvrant la sc�ne o� Don Quejada r�duit en pi�ces le retable de ma�tre Pierre qu'on ne pourrait s'emp�cher de supposer, comme premi�re impression dans la cervelle du gosse, la cruaut�, et non la puissance m�taphysique ; la piti� 'humaniste' envers celui dont tout l'avoir et le gagne-pain sont r�duits en miettes, et non l'intelligence esth�tique. Car notre drame est que le sens moral pr�c�de le sens esth�tique, contrairement � ce que pr�tendent des po�tes visiblement mal inspir�s. Seule l'�ducation et l'intelligence am�nent la jouissance esth�tique. Notre �poque de tyrannie de l'opinion l'oublie souvent : la rh�torique s'apprend, et le go�t s'�duque - deux choses qu'une bonne d�mocratie doit proscrire pour survivre. Le 'tous les go�ts sont dans la nature' est une vue de l'esprit ni plus ni moins recevable par la raison que la pr�tention � une �chelle de valeurs, nous ne l'ignorons pas.

G. Et ?

M Et pourtant... cette vue-l� annule la possibilit� d'une civilisation vue comme culturelle.

L. Et oui : tel est le sens de nos derniers grands auteurs.

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