Tijl Fiasse, C�line Minard & Claude Riehl  :   Miroirs noirs & la femme-enfant

 

                            

                                           Dessin de Yann Collette (cliquez)

 

Claude Riehl : Miroirs noirs � Bobigny

La Lune est si pr�sente dans Miroirs noirs que le lecteur du livre en vient � oublier la nuit. Patrick Sommier nous la restitue d�s le d�but de la pi�ce. Une nuit noire, les t�n�bres vrombissant de l'�cho d'une explosion d�vastatrice, suivies d'une nuit �toil�e dans laquelle s'entend petit � petit un cliquetis m�canique et un doux ronflement de dynamo. La silhouette du dernier homme s'�claire progressivement � la lueur h�sitante de sa lampe de bicyclette, elle effraie parce que surgie du n�ant puis le " continuer � p�daler " rassure et " la lune laconique " qui " a fich� son masque pointu derri�re le gen�vrier " ach�ve d'�clairer des portions de la sc�ne-paysage. Nous y sommes, surpris de nous y trouver, plongeant dans les caves et les �tages des " coquilles vides des maisons " : la bombe � neutrons et les bact�ries " ont fait du bon boulot ". Pour ceux qui les connaissent, leur reviennent � l’esprit les superbes gravures dans la " mani�re noire " d'Eberhard Schlotter o� les images semblent couvertes de suie. Mais ils n'auront m�me pas le temps de faire le geste d�risoire de souffler cette poussi�re d'apocalypse dans l'espoir de mieux discerner les objets.

Car une deuxi�me surprise encore plus d�concertante s’impose au spectateur : le dernier homme sur Terre parle, d�clame, soliloque, rit, parodie, se fiche de lui-m�me, aucun pathos. On le pensait plus lyrique, plus grave, ce dernier homme qui fouille au milieu des squelettes et cherche sa pitance dans les placards des disparus. Son �criture, � ce qu’il semblait, rappelait ces po�mes de la catastrophe � venir & survenue de la Grande Guerre, hurl�s par les Georg Heym, August Stramm, Georg Trakl. Le jeu d�cal� du com�dien Yann Collette gomme l’expressivit� exag�r�e, le texte respect� scrupuleusement y gagne en fluidit�, ses images explosives servent le discours d’un naufrag� qu’on a voulu ici r�aliste : sur sc�ne �volue quelqu’un qui a vu personne depuis cinq ans, qui se parle � lui-m�me, a des acc�s de rire, joue avec le ridicule de sa situation : il montre une distance �trange par rapport � ses prof�rations et il semble bien qu’il soit menac� en permanence par la folie – le po�te Jakob van Hoddis commence � hanter la langue telle qu’elle s’�nonce ici – on a peur pour lui, peur qu'il sombre dans le d�lire. Ses fanfaronnades en deviennent �mouvantes, on a piti� pour lui puis on se dit qu'il n'est sans doute ni meilleur ni pire que les disparus. C'est un cabotin, il est le dernier repr�sentant de "l'exp�rience homme, la puante". On se rend volontiers � cette interpr�tation : le pessimiste radical ne peut s'exclure de sa vision pessimiste. Et cela, visiblement, parle au public : le spectateur rit souvent mais de lui-m�me, c'est-�-dire jaune. Cette vision culmine dans l'incroyable sc�ne de la gare de Hambourg avec ses accumulations de cadavres : l'alignement des livres et le geste � la fois bouleversant de pi�t� mais aussi cruel et ironique des petites croix que le dernier homme d�pose derri�re chacun d’eux transforment ces livres en autant de tombes. Rien de cynique ici, au contraire : le geste rec�le une telle gravit�, il est si lourd de sens, qu'il nous emp�che de pleurer d'�motion ou tout au moins m�tamorphose nos larmes bien r�elles en larmes de rage. Le metteur en sc�ne nous donne l� un noeud � d�m�ler, une sorte d'embl�me � d�chiffrer. Chacun y trouvera ce qu’il voudra bien y trouver. En tout cas les rapports compliqu�s d’Arno Schmidt avec le livre, la vie et la non-vie, la mort et la survie, sa vision de l’�criture comme �piphanie sans Dieu et … sans hommes sont peut-�tre visualis�s ici pour la premi�re fois.

Le troisi�me point sur lequel il faut insister est moins une surprise qu'une r�v�lation. Ce travail de th��tre met en effet en �vidence le lien tr�s fort qui existe dans le livre entre le monde de l’enfance dont est marqu� tout le r�cit et le jeu de pens�es �tendu tel que Schmidt le d�finit dans Calculs II. On sait que Schmidt pr�tend avoir con�u ce r�cit � partir d'un jeu de pens�es qu'il avait d�velopp� dans le camp pr�s de Bruxelles o� il �tait prisonnier de guerre en 1945. En m�me temps, il r�fute la dimension enfantine du jeu de pens�es �tendu; l'enfant serait tout au plus capable de r�veries. Cette d�n�gation pour le moins suspecte est battue en br�che par le travail de Sommier et de ses deux com�diens. Dans ce sens, la sc�ne la plus frappante et r�v�latrice est celle o� le dernier homme et Lisa se couchent chacun s�par�ment pour "dormir". Cela dure 30 secondes, le r�veil sonne et ils se l�vent : ils jouent � dormir, comme les enfants jouent aussi � papa & maman, ce qu'ils feront du reste par la suite. Et quand arrive le moment de la lecture par Lisa des souvenirs d'enfance du dernier homme, on comprend que sa solitude pr�sente – m�me si c'est momentan�ment une "bisolitude" – est l'exacte r�p�tition de celle qu'il a v�cue dans son enfance et que tout ce qu'on vient de voir n'est jamais que la projection ou la r�alisation d'une vision d'enfance. La terrible co�ncidence entre le d�sir du petit enfant d'�chapper au monde des hommes et le jeu de pens�es de l'adulte enferm� dans un camp de barbel�s saute aux yeux. La solitude absolue de l'enfant et de l'adulte transpara�t aussi dans cette sc�ne tr�s belle o� l'homme et la femme s'habillent pour l'anniversaire de Lisa : en fait, ils se d�guisent, comme des enfants pr�cis�ment; et bien plus encore, Lisa est transform�e en poup�e hoffmannienne, elle devient Olimpia, la fille de Spalanzani dans L'Homme au sable, dont on sait qu'elle n'est qu'un automate. Et comme c'est cette poup�e qui dit le texte des souvenirs, on est s�r qu’aucun vivant n'aura jamais rien lu du dernier homme lequel, comme on le sait, n'�crit que pour les grands disparus. Solipsisme absolu du Nathana�l post-atomique !

Saluons donc ici cette premi�re adaptation de Miroirs noirs au th��tre. Elle nous �meut et nous donne � r�fl�chir. � la sortie, on se pose de nouvelles questions et on croit avoir trouv� quelques r�ponses � d’anciennes. Le r�cit s’enrichit de jalons in�dits o� s’incrustent � pr�sent les figures de ces deux com�diens magnifiques, Yann Collette et Marie Cari�s. L’un, Robinson burlesque, surgi de la nuit, nous observant avec sa longue-vue, nous, les spectateurs juch�s sur la Lune, ass�ne les v�rit�s qui font mal tir�es de la " caisse furibarde " de sa remorque-fichier-tableau-noir ; l’autre, la Champignonne litt�ralement tomb�e du ciel et rest�e un instant en suspens dans une extase d�licieusement profane, nous ensorcelle et nous fait go�ter aux enfers polymorphes de l’enfance : tous deux tissent sur la sc�ne avec intelligence et brio un des plus beaux textes d’Arno Schmidt. Qu’ils en soient remerci�s.

Miroirs noirs au MC 93 de Bobigny du 27 novembre au 23 d�cembre 2001.

Mise en sc�ne : Patrick SOMMIER, Adaptation : Patrick Sommier. Texte paru aux Editions Christian Bourgois. Traduction : Claude Riehl. D�cors : Jean-Vincent Puzos et Patrick Sommier. Costumes : Fabienne Varoutsikos. Lumi�re : Jean Vallet. Assistant � la mise en sc�ne: Michel Leblond.

Avec : Yann Collette, Marie Cari�s.

Le spectacle est coproduit par : MC 93 Bobigny, Maison de la Culture d'Amiens, Th��tre des Treize Vents-Montpellier, Th��tre de Nice-Centre Dramatique National-Nice C�te d'Azur, La Rose des Vents-Sc�ne Nationale de Villeneuve d'Ascq.


C�line Minard nous �crit � propos de Miroirs noirs � Bobigny :

J'ai lu votre critique de Miroirs noirs, la pi�ce, sur le site et je trouve qu'elle est sympathique pour le travail du metteur en sc�ne. Vous tirez l'ensemble vers le texte et tant mieux, c'est de loin ce qu'il y a de mieux dans cette affaire. Car � vrai dire, plus le temps passe et plus je trouve que la mise en s�ne manquait d'audace. Certainement parce-que, justement, le texte n'avait jamais �t� adapt�. C'�tait presque 'en costume d'�poque'. Et pourtant, on ne peut pas dire que Schmidt soit un auteur classique du d�but du si�cle ni un trag�dien grec. D'ailleurs, maintenant, les metteurs en sc�ne font des choses os�es avec les vieilles soupi�res ou les vieilles soupes. qui ferait encore un Oedipe en toge ?! Je pense qu'ils ont eu peur du texte, de sa modernit�, de son c�t� radicalement dingue, des choses terribles qu'on peut faire avec �a.

C'�tait finalement un peu trop tir� vers le burlesque, par exemple quand le dernier homme �crit sa lettre au professeur am�ricain. Elle ne manque pas d'humour cette lettre mais doit-elle faire rire vraiment ? Et puis le jeu de l'actrice m'a agac�e, je n'aime pas les femmes-enfants, et dans ce cas, �a me semble compl�tement d�plac�. Je ne sais pas, mais il me semble que les personnages f�minins de Schmidt �chappent justement � tout un tas d'attirail d�bile qui "signe" la femme (minauderies, coquetteries, b�tise, superficialit�, etc. ). Elles sont, dans tous les textes que j'ai lus, bien loin de r�pondre � ce genre d'image, elles sont plus physiques, plus triviales et plus subtiles que tout �a. Comme les rapports homme-femme n'ont rien � voir avec ce qu'on peut trouver ailleurs comme clich�. Et heureusement, et d'ailleurs, serait-il un grand �crivain s'il s'occupait de toutes ces v�tilles ? Le seul moment o� le jeu de l'actrice "passe" c'est quand elle lit les trois pages du r�cit d'enfance qu'elle a "command�", l�, on a l'impression au moins au d�but qu'elle n'a jamais lu ce texte et c'est assez fort. Mais bon, tout le reste est tellement aga�ant ... Quant � l'acteur (je me demande ce qu'aurait donn� un Quentin Chatelain avec ce texte), je suis s�re qu'il �tait pr�t � aller plus loin. � �tre plus inqui�tant, plus d�rangeant, plus jeune aussi. Bon, je ne suis pas tr�s gentille. Parce qu'enfin, ce n'�tait tout de m�me pas du temps perdu et c'est vrai qu'il y avait quelques trouvailles. Et puis, le texte. Il fallait quand m�me �tre courageux. "

 


 

Claude Riehl : R�ponse � C�line Minard.

Depuis toujours le th��tre s'est nourri des "grands r�cits" pour pr�senter des fictions qui lui sont propres. Dans le cas de Miroirs noirs � Bobigny, il y a une fiction autonome qui r�sulte d'un travail dramaturgique et de l'interpr�tation des com�diens : rien de plus normal selon moi, que le r�sultat sur sc�ne diff�re de votre ou de ma vision du texte. Il semble que beaucoup de gens de th��tre s'int�resse � l'œuvre d'Arno Schmidt (en Allemagne depuis longtemps d�j�). Vu la richesse de ses r�cits, il n'y a l� non plus rien d'�tonnant. Et ce n'est pas le fait qu'il n'�crivait pas pour le th��tre qui y changera quoi que ce soit. (Il l'a tout de m�me fait une fois, tout au d�but de sa carri�re, lorsqu'il dicta fr�n�tiquement � sa femme Alice la " revue historique "  Massenbach). Les romans dialogiques des ann�es soixante et soixante-dix font, bien entendu, de l'œil au th��tre, quoique � ma connaissance notre auteur n'ait jamais pris de contact d'aucune sorte avec une troupe ou une institution dans le but de voir repr�senter ces choses-l� sur une sc�ne. Il en allait pour lui, avant tout, d'�largir le champ du romanesque. Pourtant il y a dans ces grands textes appel�s " Com�die de nouvelles " (la notion vient de L'�pouvantail de Tieck) ou " Farce-f�erie " (Nestroy, la com�die populaire viennoise) une part de s�duction qui ne manquera pas un jour ou l'autre de faire des ravages sur nos < tr�teaux> contemporains. Mais ce n'est pas de cela que je comptais parler. Je vous dois une r�ponse quant � "l'image de la femme" dans l'œuvre d'Arno Schmidt.

En premier lieu, je dois rappeler qu'il n'a jamais �t� question de femme-enfant dans mon compte rendu de Miroirs noirs � Bobigny. Je d�couvrais seulement – avec bonheur, je dois le dire – la dimension enfantine que le metteur en sc�ne avait su mettre en relief dans le jeu de pens�es qui s'appelle Miroirs noirs. L'id�e de la femme-enfant, si jamais cette id�e a quelque existence, est absolument �trang�re au monde de l'enfance. La femme-enfant n'existerait que dans le d�sir et la r�alit� affective et sexuelle de l'adulte. Et Lisa n'a rien � voir avec une figure de ce type – ni dans le texte de Miroirs noirs, ni dans son adaptation th��trale. Quoique vous disiez, Lisa minaude bel & bien, mais ce n'est pas l� un des clich�s qui caract�risent la femme-enfant; � ce compte-l� le narrateur en fait bien plus sur ce chapitre ! Ce qui ne l'emp�che pas – Lisa – d'�tre une esp�ce de "Tania la Guerilla" d�crite ailleurs dans l'œuvre de Schmidt. Il est vrai que l'adaptation � Bobigny a supprim� la sc�ne de western entre les deux protagonistes : Lisa appara�t vaincue, tomb�e du ciel, tandis que dans le roman, elle se bat comme un guerrier avant d'�tre "neutralis�e" par le narrateur.

En second lieu, au-del� d'une approche n�gative, je ne suis pas s�r de savoir pr�cis�ment ce que serait une femme-enfant. Il y a, me semble-t-il, dans la litt�rature, la femme de Breton et celle de Nabokov qui pourraient se rapprocher de cette id�e : mais qu'ont-elles de commun ? Comment d�finir par exemple la Louve, K�the Ewers, de Sc�nes de la vie d'un faune par rapport � ces deux mod�les ? Ce n'est pas parce qu'elle est encore une lyc�enne qu'elle serait une femme-enfant. Au contraire, elle prend son plaisir avec D�ring en �tant consciente de sa propre force de s�duction et en assumant enti�rement sa propre jouissance dans la relation amoureuse. On peut dire que par la suite, dans l'œuvre de Schmidt, trois sortes de femmes pr�dominent : la femme forte autonome, la femme bless�e mais non moins autonome et l'adolescente qu'on serait tent� de nommer "Lolita" ou "femme-enfant", qui en tout cas est l'objet de l'amour fou d'un homme beaucoup plus �g�. Dans tous les cas, la relation amoureuse est pr�caire, son avenir incertain. En fait, s'il existe une "femme-enfant" dans l'œuvre de Schmidt, ce serait Franziska dans Zettel's Traum. On y apprend qu'elle a 16 ans mais sa fa�on de se comporter nous laisse � penser qu'elle est bien plus jeune encore. Amoureuse de Daniel Pagenstecher qui frise la cinquantaine, elle r�ussit � jouir de sa part d'enfance avec lui sans r�ussir n�anmoins � partager et � satisfaire physiquement tous ses d�sirs avec celui qui est au "soir de sa vie". La situation d'Ann'Ev' avec A&O dans Soir bord� d'or est analogue, sauf qu'AE est sensiblement plus �g�e (21 ans) et surtout qu'elle n'est plus tout � fait de ce monde – elle se dit �tre une "demi-d�esse", ce qu'elle prouve d'ailleurs abondamment par ses pouvoirs paranormaux. Quant � Martina (15 ans), la "vierge mal l�ch�e" de SbO, elle focalise bien des d�sirs mais se trouve �tre une demoiselle tout ce qu'il y a de plus normal pour l'�poque. Toutes ces "jeunesses" ont une �tonnante autonomie : ce ne sont pas des tendrons n�s de la derni�re pluie, avec leur insolence physique et intellectuelle, il n'est pas rare qu'elles m�nent les hommes par le bout du nez. Mais ce n'est pas tout : elles exposent leur intimit� avec un art et un tact stup�fiants, qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans la litt�rature – je dirais m�me � faire rougir le libertin le plus blas� et � d�sesp�rer les psychologues et les r�dacteurs des magazines " pour ados ". Une intimit� qu'elles revendiquent dans ses plus extr�mes singularit�s et r�fl�chissent " avec panache ".

" L'image de la femme " chez Arno Schmidt ne rel�ve jamais du clich� et s'il y a une femme-enfant dans Zettel's Traum, il faut comprendre ce terme au sens litt�ral : Franziska est � la fois femme & enfant, donc un �tre qui n'existe pas dans la r�alit� et qui n'a strictement rien � voir avec les caricatures que nous propose la mode � intervalles r�guliers.

 


 

C�line Minard, le 5 mars 2002

Que femme-enfant ne signifie pas grand-chose pour ne pas dire rien du tout, nous sommes bien d'accord. C'�tait de ma part un abus de langage ou une facilit� qui, en v�rit�, soul�ve bien des complications. Je n'utilisais pas cet affreux double terme au sujet du personnage r�el (si on peut dire) mais plut�t au sujet du jeu de l'actrice. Vous mettez le doigt dessus avec vos 'minauderies'. �a m'insupporte, les minauderies. Vous soutenez que le narrateur en fait 10 fois plus. Je veux bien, mais je n'ai jamais vu une femme minauder chez Schmidt.

Et d'ailleurs, cette histoire qu'il y aurait des femmes-enfants chez Arno Schmidt (premier sens courant, dont on a vu qu'il n'�tait justement pas tr�s clair), c'est pas possible. Peut-�tre Ann'Ev' donc, mais je ne la connais pas suffisamment. Mettons, ce qui s'en rapprocherait le plus pour moi, ce serait le personnage assez effac� qui accompagne bien des histoires d'Histoires et qui s'incarne dans la peau d'une jeune fille aux jambes longues assez souvent nues, devant laquelle tout ne serait pas bon � dire (et que reluque discr�tement le narrateur). Celle-l� me semble assez proche encore d'une "vraie jeune fille", mais finalement pas d'une femme-enfant, d�cid�ment, cet attribut ne d�signe rien. Quant aux autres, elles peuvent avoir 10, 16 ou 50 ans sans aucun probl�me.

Peut-�tre direz-vous qu'une part de l'œuvre d'Arno Schmidt m'est absolument ferm�e (et c'est s�rement vrai mais pas forc�ment celle-ci) mais ce que je trouve de particuli�rement r�ussi dans ses personnages f�minins c'est que pr�cis�ment ils le sont assez peu dans le sens convenu. Car elles sont effectivement toutes autonomes. Or ce n'est pas du tout ce qui caract�rise une femme, l'autonomie. Je dis bien, d'habitude, dans la litt�rature et ailleurs. Les �crivains – et je ne fais l� aucune diff�rence de genre (les �crivains, les �crivaines) – ne sont pas l�gion � inventer des personnages f�minins autonomes. J'en vois comme �a quelques-uns, dont Manchette, chez qui la question de la f�minit� de la femme ne soit pas un monstrueux bourbier sirupeux. Tania la Gu�rilla, il me semble qu'on peut la retrouver dans toutes les femmes de Schmidt. Sans d�nier leur appartenance sexuelle (et c'est �a qui est fort) elles sont des entit�s, des int�grit�s humaines et d�passent le genre, � la vol�e.
Et crues, et tout �a, � faire p�lir les libertins blas�s, et surtout eux d'ailleurs, j'en suis d'accord.

Par contre le 'rendu' th��tral d'une Lisa qui serait � la fois femme et enfant (ce qui cette fois signifie vraiment quelque chose, comme homme et enfant) n'�tait pas du tout au rendez-vous. Vous allez croire que je lui en veux � cette actrice, et c'est un peu vrai, mais ses minauderies, essentiellement dans la voix, �taient aussi la marque de fabrique d'un certain th��tre. Je pense assez pr�cis�ment � une repr�sentation de Penth�sil�e au th�atre de la Bastille en 98 ou 99. Il s'agit d'une fa�on de placer sa voix (son organe), toute particuli�re, qui fait ressortir la texture femelle en m�me temps qu'une certaine b�tise imm�diatement imputable au beau sexe. Vous entendez B.B. dire "et mes jambes, tu les aimes, mes jambes?" et vous avez saisi. On s'habitue, c'est vrai. Mais c'est triste. Et c'est pas dans Schmidt !


 

Tijl Fiasse, le 15 mars 2002

Je vous fais mon effront� de m’interposer, comme �a... le sujet me fascine : la femme-enfant. Allez, �a excusera bien l’impolitesse.

Les mots & concepts (‘femme-enfant’) ont beau ne renvoyer � rien de localisable (les OVNI ?...) par tous dans la " r�alit� ", certains d’entre eux (‘femme-enfant’) ont une f�cheuse tendance � obs�der assez d’esprits pour permettre, mettons, � un m�c�ne d’inviter quelqu’un � �crire une histoire de la litt�rature sous cet angle. Ce qui serait palpitant.

Ce qui est s�r : Arno Schmidt n’en fera pas partie.

Il est rare qu’on trouve chez un auteur autant de r�actualisations des st�r�otypes les plus hilarants du moyen-�ge. Pour ne parler que de Soir bord� d'or, c’est peu de dire qu’il s’agit d’un plat � consommer assaisonn� de quelques pages des <Quinze joies de Mariage>. Enfin, cette bonne vieille misogynie (Je dis bonne parce que, comme les caract�ristiques nationales, elle est utile, ne serait-ce que comme aune d’�cart, sans quoi on serait bien tout � fait perdu.)

Qu’on prenne un billet-raccourci pour/par la contr�e o� l’on traite des relations entre les auteurs et ce qu’ils peuvent bien mettre sous ‘femme-enfant’.

On peut traiter le probl�me d’une mani�re sociologique, politique, etc ; rappeler, par ex., cette banalit� que les auteurs des ann�es 20-30, qui ont vu appara�tre le cheveu court chez la femme & la psychologie qui en d�coule, ont �crit des textes pour le moins �pileptiques, vers le haut comme le bas ; et �a va et �a vient, du surr�aliste qui id�alise au point de se rendre ridicule aux Miller et C�line qui voient des Circ� & H�cate � tous les coins de rues. Mais ce n’a jamais �t� qu’une pouss�e. Bonbon : " Si ces auteurs se sont r�v�l�s de grands malades, la maladie existait d�j� � l’�poque romantique : voyez Baudelaire ou qui vous voudrez : il lui faut – s�par�ment (c’est essentiel !) – une hourri & un fant�me � id�aliser. " Qu’une femme qu’on aime puisse en m�me temps avoir des pulsions sexuelles (et, qui, sait, pourquoi pas pour vous...), ne viendrait jamais � l’id�e d’un romantique. C’est pas moi qui le dit, c’est Goethe, que les romantiques sont des malades. Et lui, peut-�tre le premier...

Il semblerait que, dans la version masculine du dossier, le go�t et l’id�e d’inventer des absurdit�s telles que le concept de femme-enfant provienne de l’incapacit� de consid�rer comme �tant dans l’ordre des choses que... (j’ose ? Vas-y, Icare ! � tes plumes/marques !... ) la femme soit un �tre non seulement dou� de raison, mais dont la nature permette le raisonnement. Un fin connaisseur du moyen-�ge, et grand catho-d�presso-expresso-tachyco-romantique, Miklos Szentkuthy pourra donc �crire avec tout le s�rieux dont il est parfois capable que, mais oui, c’est triste mais c’est comme �a : " Lorsqu’une femme pr�tendument intelligente l’emporte en raison sur un homme, n’avons-nous pas affaire � la plus grotesque des arlequinades ? "

Le probl�me, comme je l’entends, n’est pas l�. Fort heureusement, on a �crit de bien belles choses avant le romantisme. De la th�ologie, parfois. Et puis les paroles des serpents sur la domination de la femme par l’homme se sont tellement incrust�es dans la cervelle des m�les/mamalujos que, par grand froid contr� par force boissons alcoolis�es, les oreilles distraites entendent des : " Ch’te jure, Joe ! Ce serpent, i raconte rien que des conneries ! T’as raison, Earl ! C’est pas du tout comme il avait promis, le spermant ! Et, Joe ? t’es toujours l� ? Ouais, Ned ! C’passque j’ai une id�e, Bill ! Si que c’est k’c’est vraiment comme �a que �a va ici dans ce cabaret du n�ant (T’inqui�te, Lomax ! C’est qu’une citachion !), ‘fin, les choses du monde, tu vois ? Ben tu vois pas ? Que c’est leur beau cul qui fait tourner le monde ? Ben alors moi j’dis : si qu’on sait pas les �pater, nos animaux de compagnie dou�s de parole, avec des armas y des letras (T’inqui�te, Pete ! C’est pas le tit’ d’un livre !), si qu’on inventait des femmes-enfants ? Riche id�e ! Sur ce, vous reprendrez bien une chaudepine/chopine ? "

Je trouve dans le Robert des noms communs, femme-enfant : " Plut�t relation qu’essence : rapport �tabli entre homme et femme qui tend � exclure le jugement personnel et le raisonnement chez la femme pour ne conserver que le sentiment positif et l’admiration pour l’homme. L’�ge n’a pas d’importance. On a vu des femmes-enfant de 108 ans. Un forgeron allemand (Weland Schmidt) est d’ailleurs pass� � la post�rit� pour avoir totalement banni ce type de relations de son oeuvre. "