Thibaut de Ruyter : Lost in the translation.

Extraits de correspondances : Bleckede-Bargfeld-Berlin-ASLL.

 

 

 

Berlin, le 21 janvier 2002

Il me faut l'avouer, depuis 48 heures, je n'ai pas beaucoup travaillé. Plutôt non, j'ai beaucoup travaillé mais j'ai changé de métier. De lecteur à plein temps dans la lande de Lunebourg, je suis redevenu architecte qui arpente la ville et regarde avec plaisir les bâtiments qui l'entourent. J'ai, en somme, retrouvé ma place et mon métier. Je sais, cela ne va pas durer et, la semaine prochaine, il faudra retourner à Bleckede. Mais, pour l'instant, n'y pensons pas et livrons, juste pour le plaisir, quelques notes berlinoises. Elles n'auront rien à voir avec Arno Schmidt (ici, ce serait plutôt Heiner Müller, Walter Benjamin ou Bertold Brecht qu'il faudrait convoquer) mais, pourquoi se refuser un petit plaisir. Récit, rapide, des deux dernières journées.

Après avoir aidé Tillman vendredi, pour son déménagement, je suis arrivé chez Elke & Mathias (Dänenstraße - en plein Prenzlauer Berg). Là, nous nous rencontrons pour la première fois. (Elke est une amie d'enfance de ma Lebensgefährtin qui, en ce moment, est aux États-Unis). Nous nous rencontrons donc, alors que, depuis longtemps, nous nous connaissons (petites histoires et anecdotes de la vie de la jeunesse allemande, Mädchensblablabla). Lors du repas, Elke me demande ce que je fais à Beckede (sic!) et tout le reste. Je mentionne alors notre correspondance qui, finalement et depuis plus de quinze jours, est mon seul travail un tant soit peu soutenu. Mathias me montre alors Rom, Blicke de Rolf Dieter Brinkmann... Très beau livre qui, tout de suite, m'évoque les tapuscripts de Schmidt, les mises en page parlantes et tout le reste. Je me souviens alors que, l'été dernier, Barbara (ma Lebensgefährtin) s'était procuré un petit volume de poésie de cet auteur : Westwärts 1&2, lui aussi chez Rowohlt. Connaissez vous ce personnage? Le volume sur Rome est un journal de résidence d'artiste. Un mélange de notes, de correspondance, de cartes postales, de photographies personnelles, de cartographies annotées, de reçus de pizzerias, de fragments de textes dans une écriture très schmidtienne (pleine de :, de (( et de <, de // et de !!!). En tous les cas, quelque chose qui n'a rien d¹un continuum. Et dont la forme me fascine (de plus, cela pourrait presque rejoindre ce qui, par hasard (je préfère l'allemand zufällig mais bon...) se passe en ce moment. Il y a aussi, dans ce livre, un véritable art de la construction (ce mot Baukunst qui me tient tant à cœur et que je n'arrive pas à retrouver à Bleckede ou dans ma lecture d'Arno Schmidt). Exemple : page 219, trois images à l'horizontale se superposent et sont collées bord à bord (sans doute deux cartes postales et une photographie de l'auteur). En haut une patrouille aérienne qui lâche les fumées pour faire les couleurs du drapeau national (le livre est en noir et blanc mais, évidemment, j'y verrais du bleu, du blanc et du rouge...) ; au milieu une vue de ruelle en italie Bar Toto-Gelateria, Cinzano & San Remo, Pepsi & CocaCola... mais la façade du bâtiment qui porte ces signes est aussi chargée d'inscriptions d¹un autre âge, de bas-reliefs et de textes romains ; en bas, la fontaine de Trévise, vue de nuit, temps de pose suffisamment long pour faire des jets d'eau une masse sculpturale et lumineuse. Une page, trois images, de quoi parler pendant des heures. Pas pour ce que chaque image est, mais bien, lorsqu'une fois réunies sur la page, ce qu'elles produisent. Nous sommes dimanche après midi et j'ai tout le loisir de feuilleter l'ouvrage que Mathias m'a mis entre les mains vendredi. Il y a aussi des pages avec des filles nues, un peu pin-up fifties, associées à des vues aériennes de la Place du Peuple, d'autres avec, dessinés à la main sur une carte de Rome, les trajets de l'auteur, usw, usw... (il faudrait là rajouter un peu de situationnisme mais alors je me retrouverais à écrire une thèse genre : "Usage de la photographie érotique et des plans de ville annotés dans la littérature européenne de 1952 à 1979 - ses origines, ses variations, son échec"). Bref.

En guise de trajet, et parce que cela m'amuse un peu, je vous livre le fil des rues suivies hier, pour une marche de quelques heures dans Berlin. Vous verrez, cela n'a rien de très original mais, juste pour le plaisir (et puis aussi parce que cela m'a pris six heures et que je suis arrivé un peu épuisé) je ne vais pas en faire plus dans la description.

KuH'Strasse

KuH'Dam

Savigny Platz - (Autorenbuchhandlung) là, j'achète un petit cadeau pour l'anniversaire de mon amie : la traduction du texte de Don DeLillo à propos des attentats du 11 Septembre, publié dans une édition spéciale de Libération et qui, en Allemagne est édité sous forme d'un petit fascicule indépendant. Il faut le dire, étant donné la qualité de la chose - c'est sans doute le texte le plus intelligent écrit à ce propos - cela le mérite. Donc : Don DeLillo, In der Ruinen der Zukunft - Gedanken über Terror, Verlust und Zeit. (publié initialement dans Harper's Magazine sous le titre In the Ruins of the Future, Reflections on Terror, Loss and Time in the Shadow of September ; introuvable désormais aux États-Unis... ce qui ne m¹étonne pas tant).

KuH'Strasse

BudapesterStrasse

Bauhaus Archiv : là, une pause d'une heure pour visiter l¹exposition sur Mies van der Rohe et son enseignement au Bauhaus + Café + Käsekuchen + Vitrines (c'est incroyable, ce bâtiment et cet endroit qui, il y a douze ans, était un de mes premiers contacts avec l'architecture du XXème siècle, me semble plus que critiquable aujourd'hui. Surtout la façon dont tout le hall d'entrée n'est plus qu'une large vitrine pour vendre des horloges dessinées par Max Bill, des montres Braun et des répliques du cendrier de Marianne Brandt (en bref : pourquoi ne pas transformer cet endroit en un petit supermarché-cosy-design-branché ? en tous cas, c'est ce qui, peu à peu, se passe...)).

NeueNationalGalerie, avec en face un bâtiment de Scharoun (bibliothèque) et à côté un bâtiment de Scharoun (philarmonie), là aussi il y a de quoi écrire. Non pas sur chacun de ces bâtiments (ce qui a été fait en long, en large, et en travers, mais sur le rapport qu'ils entretiennent, sur l'espace qu'ils créent dans leur proximité (et aussi, maintenant, la présence étouffante de la Potsdamerplatz)

PotsdamerStrasse

PotsdamerPlatz

EbertStrasse

PariserPlatz : étonné par le bâtiment de Gehry, y reviendrais...

UnterdenLinden

KarlLiebknechtStrasse

AlexanderPlatz

TorStrasse

RosaLuxemburgPlatz

SchönhaüserAllée

DänenStrasse

Je passe sur les Currywurst et autres pauses de réconfort.

Voilà donc, en résumé, ma journée d'hier.

Pour ce dimanche, un peu plus de tranquillité. Long petit déjeuner avec Elke & Mathias, Flohmarkt et visite de l'exposition Ludwig Mies van der Rohe au Vitra Museum (magnifique bâtiment que l'on voit depuis les fenêtres de la Dänenstrasse)... De cette expo, je ne dirais rien. Comme tout ce que fait Vitra, un luxueux showroom qui sert à vendre des modèles réduits des grandes chaises du XXème siècle aux plus pauvres et des versions grandeur nature au plus riches. Trois prototypes mis bout à bout histoire de faire comprendre aux plus bêtes : "Voyez, ce meuble à l'air simple et minimal mais, en fait, il a toute une histoire... (c¹est d'ailleurs pourquoi nous, Vitra, nous le produisons encore (et le vendons aussi cher))". S'il s¹agit d'un musée alors qu'on me dise où il se trouve.

De retour à l¹appartement, de l'autre côté de la ligne de S-Bahn. Livre de Brinkmann et imel.

Voilà, c'est tout pour ces deux derniers jours (et c'est déjà beaucoup),

Gibt es sonst noch etwas Wichtiges zu sagen? - Ich habe das Gefühl, daß ich eigentlich gar nicht Dir Wichtiges geschrieben habe - was ist überhaupt das Wichtige? - Rom liegt Tausend Kilometer von Köln entfernt. (Rolf Dieter Brinkmann)

 

 

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