Bleckede, le 29 janvier 2002
Je crois, ici, que nous venons de nous perdre dans la traduction.
Littéralement.
En plus, j'ai le sentiment d'être doublé par la vitesse de
l¹information et
de sa circulation sur le réseau. J'ai bien reçu votre message
de ce matin,
avec le texte de Werner Burzlaff et, je dois l'avouer, les bras m'en
tombent... J'ai le même sentiment que ce type qui, il y a quelques
années,
envoyait des messages cochons à une de ses collègues de
bureau. Celle-ci,
excédée, fit passer les textes sur le réseau... et
le type fut licencié, sa
femme le quitta et, il s'est (j¹en rajoute un peu) suicidé.
Il est donc
temps de faire quelques précisions.
D'abord, je crois vous l'avoir dis, je ne lis pas l'allemand. Il me faut
dix
fois plus de temps pour lire le programme de télévision
dans Die Zeit que
pour finir le premier tome de La recherche du temps perdu. Alors, forcément,
le message de votre confrère m'occupe une bonne partie de l'après
midi (là
où, pour tout vous dire, j'avais prévu de le passer à
lire le petit recueil
de poésies de Heiner Müller que je me suis offert hier, en
quittant Berlin).
Donc je comprends, et je ne comprends pas tout. Et il y a sans doute,
dans
mon énervement, une part d'incompréhension (encore une fois,
au sens
littéral du terme).
Précisons.
Bleckede n'est pas une résidence de poésie, mais bien d'art
et, ceci n'est
pas un journal mais une correspondance. Vous me répondez et, le
plus
souvent, vos réponses aiguillent ma pensée. Mon journal
est autre chose et,
pour être honnête, Arno Schmidt en est absent.
J'essaie de répondre, tant bien que mal, à votre ami. (Au
passage, je trouve
le ton de son courrier plutôt moqueur et agressif (suis-je perdu
dans la
traduction ou simplement paranoïaque ?)).
Je fais partie d'une génération d'architectes qui n'a jamais
passé d'heures
sur la table à dessin. Et puis oui, mille fois oui, depuis des
années déjà
des sociologues et des architectes ont pensé le rapport à
l'espace. Le lien
que tous, nous entretenons aux choses qui nous entourent. Donc, wenn jemand
zum Arbeitstisch etwas einfällt, de Ruyter wird es wohl lesen wollen.
(Non,
il ne s'agit pas que de moi). Mais je me rends compte que je rentre, ici,
dans un débat qui ne m'intéresse pas. Car là n'est
pas la véritable
question.
Je suis architecte. Je ne suis ni chercheur, ni scientifique, ni philosophe.
Simplement, depuis longtemps, je pense que le regard de l'architecte peut
apporter des éléments aux autres disciplines. Et inversement.
Je pense aussi
que l'architecture ne doit plus être aussi sclérosée
qu'elle ne l'est
aujourd'hui, dans une profession libérale qui vit et survit de
ses réseaux.
Alors je me permets, en tant qu'architecte, d'utiliser des références
qui
sont en dehors de mon champ. Bien sûr, je peux parler pendant des
heures de
la chapelle Pazzi ou de la maison Escherick, je peux m'attarder sur un
dessin de John Hejduk (allez donc voir ses deux bâtiments de Berlin
!) ou
prendre mes vacances à Ljubljana (passez par Zale et vous comprendrez).
Mais, par malheur, je pense aussi que j'ai à apprendre en lisant
Arno
Schmidt, Thomas Bernhard ou Don DeLillo. Je pense aussi que la musique
de
Jean Sebastien Bach et celle de Joy Division, en passant par Steve Reich
et
Blixa Bargeld peut me faire évoluer dans ma pensée de l'architecture
(sans
faire la moindre référence à Goethe). J'aime les
films de Jean-Luc Godard et
ils me permettent de donner un peu de poésie à une discipline
qui,
aujourd'hui, n'en contient guère. Je n'ai jamais écrit la
moindre de ces
lignes en pensant qu'elles puissent faire réagir aussi violemment.
Je ne
suis pas un spécialiste de la littérature allemande, je
n'ai pas fait
d'études de lettres, je suis un lecteur qui utilise ce qu'il trouve
pour
construire quelque chose. Monsieur Riehl, vous qui avez vu le cd-rom réalisé
en Autriche, vous devez bien comprendre que la finalité de cette
histoire
est de produire une uvre, mais cette uvre ne sera en aucun
cas un portrait
d'Arno Schmidt. (cela, je crois l'avoir écrit dès mon premier
mail). Je
pense même que, dans la production à venir, il n'y aura rien
de visible
(dans le sens où le travail autrichien utilisait des citations)
de l'uvre
d'Arno Schmidt.
Bon ici, je dois l'admettre, j'ai tendance me justifier alors que je
pense
que ce n'est même pas nécessaire. Pour ce qui est de la référence
au bunker
(mot que je n'ai pas employé) je dirais à votre ami de visiter
le site
d'Eperlecques près de St Omer dans le nord de la France. Pour les
questions
de pyramide, je laisse la remarque à Peï et autres Peichl
et Jahn. Et pour
la symétrie, je cite : " pense en ce qui nous convainc souvent
de la
rectitude d'une façon de voir, c'est sa simplicité ou sa
symétrie, i.e.: que
c'est ainsi que nous sommes amenés à nous rendre à
cette façon de voir. Et
alors on dit, tout simplement quelque chose du genre: < C'est forcément
comme ça. >. "
Voilà. Je suis un peu inquiet, en relisant ceci, du ton global
de mon
courrier. Je l'aurais voulu plus apaisé. Plus sage. Mais je rentre
de
Berlin, je me retrouve dans ce trou - avec cette résidence impossible
- et
cela me rend un peu susceptible. Je voulais, en substance, dire : je ne
suis
pas un spécialiste de quoi que ce soit, simplement j'utilise, dans
mes
propres créations, celles des autres. N'est-ce-pas, après
tout, ce que fit
Arno Schmidt ?
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